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assemblée politique, mal informée sans doute des choses de l’esprit, car on ne peut la supposer indifférente au patriotisme, fut d’un autre avis que M. Thiers. Au mois d’août 1876, la chambre des députés, votant le budget de 1877, voulut récompenser à sa manière l’auteur de tant de nobles ouvrages. La place de conservateur des archives de la guerre, qui avait repris son ancien titre, fut supprimée d’un trait de plume. La Fontaine eût dit : « Ce sont là jeux de prince, » et Victor Hugo eût pu dire : « Le roi s’amuse. » Il n’y avait dans ce vote, en effet, qu’une espièglerie de mauvais goût jointe à un accès d’enfantine colère. On avait insinué au jeune souverain, tant on le savait ignorant et crédule, que M. Camille Rousset était le destructeur acharné des gloires de sa maison. Rien de plus faux, nous venons de le voir. C’est au nom de la France de 89, c’est dans un intérêt national, que M. Rousset avait détruit la pernicieuse légende des volontaires. Mais à certains meneurs qu’importe le patriotisme ? Qu’importe aux ignorans et aux sourds que l’auteur ait répété les paroles de Carnot ? Il y a une tradition jacobine qui est au-dessus de tout, au-dessus de la France et de la vérité.

N’insistons pas, l’assemblée dont il s’agit n’est plus, et les ouvrages de M. Camille Rousset sont assurés de vivre. L’auteur des Volontaires avait d’ailleurs un moyen admirable de prendre sa revanche, c’était de continuer ses fouilles dans les archives et de poursuivre son enseignement. Un an après la suppression de son emploi, M. Camille Rousset faisait paraître son Histoire de la guerre de Crimée.


II

Le 20 décembre 1854, le maréchal Vaillant, écrivant au général Bizot qui commandait le génie devant Sébastopol, lui disait avec sa franchise militaire : « Je comprends parfaitement les difficultés de votre position ; elles s’augmentent de tout ce qu’il y a de décousu dans l’entreprise elle-même, dans les mesures qui l’ont précédée et qui ont accompagné son début. Au mois d’août, on ne comptait rien entreprendre cette année en Crimée, et au mois de septembre on était débarqué, on avait livré bataille, on avait fait vingt-cinq lieues en présence de l’ennemi, on avait pris une position admirable d’où vous pouvez faire face à toutes les forces de la place et du dehors. » Voilà le résumé fidèle des quatre premiers mois de la guerre de Crimée. On ne saurait dire plus en moins de mots. Tout est là, le décousu de l’entreprise, l’incohérence des préparatifs, la brusquerie des opérations, en un mot des imprudences sans nom