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et douze ans dans une étroite couchette, et quatre enfans étendus par terre, en sens inverse, sur un seul matelas. C’était la misère dans toute son horreur et sa tristesse. Ces pauvres gens, troublés dans leur sommeil, répondaient cependant sans impatience, et plutôt avec un sentiment de surprise reconnaissante à nos questions : ils semblaient étonnés de l’intérêt qu’ils inspiraient. On sentait la faiblesse et la mauvaise fortune plutôt que le désordre pu l’inconduite, et je ne fus pas surpris de trouver au chevet d’un de ces lits un crucifix en bois auquel était suspendu un rameau de buis bénit, récent souvenir des fêtes de Pâques.

Telle n’est point l’impression que m’a laissée une visite dans certain garni de la rue de la Clef, tout contre la prison de Sainte-Pélagie. Ce garni reçoit en grand nombre des familles de modèles italiens qui vont poser le jour dans les ateliers. Dans ces familles, on trouve des enfans en grand nombre, car les enfans sont un des revenus de la famille. Il n’est pas un d’entre nous qui à l’exposition annuelle des Champs-Elysées ne se soit arrêté avec plaisir devant le portrait de quelque petite fille italienne, blonde ou brune, dont il aura peut-être admiré la gentillesse dans la rue. J’avoue que mon plaisir sera désormais un peu gâté aujourd’hui que je sais mieux quel genre d’existence entretient cette industrie des modèles italiens. Dans une des chambres de ce garni habitent neuf personnes, le père, la mère et sept enfans dont l’aînée est une jeune fille d’environ seize ans. Une corde est tendue d’un bout à l’autre de la chambre, et à cette corde sont suspendus avec grand soin, pour les préserver de la saleté, tous leurs ajustemens aux couleurs brillantes, jupon bleu, ceinture rouge et jusqu’à la chemisette blanche de la mère et des filles : tous, sans distinction d’âge ni de sexe, couchent dans trois lits différens, sans aucune espèce de vêtemens. Ces gens ne sont cependant point misérables, et une journée de séance leur est payée jusqu’à 10 francs.

À ces désordres, une réglementation plus rigoureuse suffirait pour mettre un terme. Il n’y aurait qu’à emprunter à la législation anglaise une disposition qui défend de recevoir les enfans dans le même cabinet que le père et la mère, lorsqu’ils sont âgés de plus de dix ans. Les logeurs anglais trouvent moyen de se conformer à cette prescription sans augmenter leurs prix, en établissant dans leurs dortoirs un système de cloisons basses qui assure la séparation sans intercepter l’air. Les logeurs de Paris s’arrangeraient de même, et il y aurait à se faire d’autant moins de scrupules de réduire un peu leurs bénéfices que ces gens-là gagnent souvent beaucoup d’argent. Tel logeur que je pourrais citer a payé 53,000 francs un vieil hôtel où il tient, dans une rue autrefois célèbre, un garni misérable, et il possède