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d’Arras. D’un autre côté, comme il fallait bien que les expropriés se logeassent quelque part, ils ont reflué un peu au hasard vers les fortifications, cherchant un gîte et disposés à se contenter de peu. Voici alors ce qui s’est passé. Beaucoup de ces terrains, situés dans les régions qui avant l’annexion de la banlieue ne faisaient pas partie de Paris, étaient possédés par de bons propriétaires qui en tiraient blé, foin ou avoine, et n’avaient ni l’aptitude ni les capitaux nécessaires pour se livrer à la spéculation. Ils ont loué leurs terrains à des locataires qui les ont couverts de constructions destinées dans leur pensée à ne pas durer plus longtemps que leurs baux, c’est-à-dire une vingtaine d’années, et ceux-ci ont sous-loué à une population sans asile ces habitations provisoires construites dans des conditions qu’on peut aisément imaginer. Parfois ce sont les sous-locataires eux-mêmes qui ont construit leur habitation à leur fantaisie, en employant de vieux matériaux enlevés aux démolitions de Paris. C’est ainsi que sont élevées, dans le quartier de la Glacière, les maisons de la cité Dorée, à la Villette celles des passages du nord et du sud, de la rue Monjol et de la rue Péchoin, dans le XVIIe arrondissement celles du quartier des Épinettes. Ces constructions réalisent le dernier mot de la simplicité en fait de matériaux et d’architecture. Elles se composent presque toujours d’un rez-de-chaussée qui comprend une ou deux pièces, et d’un premier auquel on accède le plus souvent par un escalier extérieur en bois plus ou moins pourri. Un grand nombre de ces maisons sont occupées par des chiffonniers, et leur servent de magasin pour leur marchandise, avec laquelle ils vivent pêle-mêle, triant le jour les vieux chiffons, les vieux papiers, les vieux os qu’ils ont ramassés pendant la nuit. L’odeur aigre et douceâtre qui s’exhale de ces magasins se fait sentir à distance et ne permet pas de se tromper sur la nature de l’industrie exercée par les habitans de la maison. Dans ces régions, la misère se sent à l’aise, elle est chez elle, elle trône, et, lorsqu’on y pénètre, il fait bon avoir à donner sur-le-champ la raison de sa présence. Mais je dois dire qu’une fois cette raison donnée, et à quelques exceptions près dont il faut toujours faire la part, j’ai été étonné de ce que dans ces couches infimes de la population parisienne on trouve encore de bonne éducation relative et de dignité. Dès qu’on leur témoigne quelque intérêt, ils vous content assez volontiers leurs petites affaires, expliquent sans trop s’en plaindre les causes de leur misère ou la nature de leur industrie et vous font avec bonne grâce les honneurs de leur unique chambre, qui, suivant le caractère des habitans, présente tantôt le spectacle du plus affreux désordre, tantôt celui d’une propreté relative. Dans beaucoup de ces ménages, on trouve quelque emblème de piété soigneusement conservé par la femme, tableau