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cher, les matériaux et la main-d’œuvre. Toute entreprise d’utilité publique était pour eux un prétexte à décoration.

Il paraît certain que les plus anciennes routes de l’ère romaine eurent ce cachet d’ostentation ; la voie Appienne, par exemple, la plus célèbre de toutes, était ornée, dit-on, de colonnes rostrales et de statues, en sorte que les premiers milles au sortir de Rome ressemblaient plutôt à une promenade de ville qu’à un grand chemin. L’art de construire les chaussées était encore dans l’enfance lorsque celle-ci fut ouverte. Les routes n’avaient été jusqu’alors que des sentiers frayés par les voyageurs et par les bêtes de somme. Aucun peuple, si ce n’est peut-être les Carthaginois, n’avait songé à en renforcer le sol par une sorte de maçonnerie, et cependant les Romains portèrent bientôt cet art presque à la perfection, parce que, à mesure que leurs conquêtes s’étendirent, ils multiplièrent leurs grands chemins en les améliorant. Afin d’en faire davantage, la construction en fut simplifiée autant que la solidité le permettait ; les accessoires superflus ne se montrèrent plus qu’aux abords des cités. Ce qui montre le mieux l’immense développement que les maîtres du monde donnèrent à leurs voies de communication, c’est que le réseau en était complet. En outre des lignes qui rayonnaient autour des principaux centres de population, il y avait des voies transversales pour desservir les villes de moindre importance.

Il n’est pas superflu d’observer que les chemins de cette époque étaient déjà soumis au régime légal qui a prévalu de nos jours chez tous les peuples civilisés. La propriété en appartenait à l’état, l’usage en était public et gratuit. Le trésor impérial ou celui des provinces en faisait les frais ; parfois un général enrichi par la guerre contre les barbares ou bien un riche citoyen, avide de popularité, consacrait à des travaux de voirie une partie de sa fortune. Quant à l’entretien, il était tantôt à la charge de l’empire, tantôt à la charge des provinces, ou bien il y était pourvu au moyen de corvées fournies par les habitans des localités voisines. Les barrières de péage paraissent avoir été inconnues ou rarement usitées.

Il fallait que les voies romaines fussent de construction bien soignée pour avoir duré si longtemps après que l’entretien annuel en fut supprimé, car on ne s’en occupa plus depuis l’invasion des barbares jusqu’au XVIIe siècle. À peine sait-on ce que c’est qu’une route pendant cette longue période. Ce n’était qu’un instrument inutile pour des peuples qui dédaignaient les moyens de locomotion rapide, dépourvus qu’ils étaient d’habitudes commerciales et de relations lointaines. S’il est présumable, d’après plusieurs capitulaires, que Charlemagne et ses successeurs veillèrent à l’entretien des ponts, ce ne fut que par des actes isolés, sans suite et sans vues d’ensemble ; ces monarques ne firent pour la viabilité de