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leur royaume que ce qu’on devait faire jusqu’au siècle de Louis XIV : quelques passades des plus dangereux ou des plus incommodes furent seuls l’objet de travaux d’amélioration. Ainsi l’on établissait des ponts ou des bacs sur les rivières les plus larges ; on surélevait en chaussées les chemins bas et humides, surtout aux abords des villes. Les avenues des habitations seigneuriales étaient alignées, dressées de niveau, plantées d’arbres. Dans le reste du pays, il n’existait que des sentiers que l’on suivait à la trace. Certaines voies romaines que l’on continua de fréquenter sans les entretenir par l’apport de nouveaux matériaux s’usèrent jusqu’au sol, en sorte qu’il est devenu presque impossible d’en retrouver maintenant le véritable emplacement. D’autres, au contraire, abandonnées par les voyageurs, disparurent sous une végétation parasite, avec leurs fossés et leur empierrement. Les archéologues les découvrent aujourd’hui, souvent parallèles aux routes modernes que les ingénieurs de notre époque ont tracées dans la même direction.

Il y eut donc au moyen âge une lacune de plusieurs siècles. Ce fut alors que les voyageurs, pèlerins ou marchands, se virent compris au même titre que les pauvres et les malades dans la catégorie des malheureux que la charité chrétienne commandait de secourir. Ce qu’il fallait à cette époque de courage et de persévérance pour entreprendre le plus court voyage, on s’en doute à peine. Surtout avant les croisades, qui du moins mirent les populations en mouvement, traverser la France ou franchir la frontière de son pays natal suffisait à illustrer un homme. Dépouillés par les brigands, rançonnés par les seigneurs sous prétexte de protection, exposés sans gîte ni assistance aux intempéries des saisons, souvent entravés par les obstacles matériels du chemin, les voyageurs étaient d’autant moins nombreux que chaque province vivait dans une sorte d’isolement. Déjà les marchands se servaient de lourdes voitures pour le transport de leurs denrées et marchandises ; mais les charrois se faisaient le plus souvent à dos de cheval.

Vers le XIIe siècle apparut une congrégation de moines, à la fois hospitaliers et maçons, qui bâtissaient des couvens auprès des passages difficiles des rivières afin d’y donner asile aux voyageurs. L’un d’eux, saint Benezet, est fameux pour avoir construit un pont sur le Rhône, à Avignon, vers 1180. La tradition de ces frères pontifes se conserva longtemps. L’un des derniers de l’ordre, le frère Romain, devint ingénieur des ponts et chaussées lors de la création de ce corps à la fin du XVIIe siècle. Malheureusement, l’art de construire les ponts ne s’apprend pas par intuition, la tradition des architectes de l’antiquité était perdue. Presque tout ce qu’ont fait les moines ingénieurs s’est écroulé ou bien a été emporté par les crues des cours d’eaux.