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de cette fâcheuse centralisation qui contribua plus tard à éteindre les forces vives de la nation en ôtant aux autorités locales toute initiative en même temps que toute responsabilité ?

Au surplus Colbert s’aperçut bientôt que trésoriers et intendans n’avaient pas l’aptitude requise pour construire de grands ouvrages d’art. D’ordinaire ils s’assuraient le concours des architectes du pays, qui étaient peu capables ou qui vivaient en communauté d’intérêts avec les entrepreneurs dont ils devaient surveiller les opérations. Le contrôleur-général des finances en vint alors à confier les travaux les plus difficiles à des ingénieurs spéciaux. Ce qui était d’abord l’exception devint ensuite la règle ; chaque généralité eut son ingénieur des ponts et chaussées. Colbert leur envoyait des instructions, il étudiait avec défiance peut-être, avec sagacité assurément, les aptitudes de chacun d’eux ; il récompensait les plus habiles en leur confiant les projets de premier ordre. L’entretien des levées de la Loire et la construction des ponts sur ce fleuve étaient à cette époque les plus belles occasions qu’un ingénieur eût de se distinguer. Le grand ministre y appelait ceux dont le talent avait été mis en relief par des travaux d’un ordre inférieur.

Quels furent les résultats effectifs de cette époque féconde en réformes administratives ? Les dépenses inscrites sur l’état du roi pour les ponts et chaussées, — le budget de ce temps, — ne furent jamais considérables ; elles s’élevaient à peine à un million de livres année moyenne. Il y avait un supplément de ressources fourni par les impositions locales, puis les péages, qui n’étaient plus admis qu’à titre d’impôt pour l’entretien des mauvais passages. Colbert entreprit d’abolir les péages abusifs ou inutiles, et il n’y réussit pas sans peine, quoique les barrières fussent dès lors aussi désagréables au public qu’elles le sont de notre temps. Enfin il y avait la corvée ; Colbert ne l’aimait pas, il en prévoyait les excès. Elle n’était autorisée que par exception, sur les routes par exemple où le roi devait passer, comme de Paris à Chambord ou à Compiègne. Des arrêts du conseil d’état approuvèrent pourtant à diverses reprises une corvée de nature spéciale sur la route de Paris à Orléans, l’une des plus fréquentées du royaume. Les voituriers qui amenaient du vin et retournaient à vide étaient contraints de passer au retour par Étampes et d’y charger du sable ou des pavés.

Il y aurait de l’exagération à dire que les soins de Colbert dotèrent la France d’un réseau de bonnes routes ; ce devait être, l’œuvre du règne suivant. Sous Louis XIV, les chemins restèrent à l’état de sol naturel, comme l’on dit aujourd’hui, sauf quelques portions où le roulage était d’une activité exceptionnelle. Les négocians voyageaient, les gens de guerre aussi ; les malades allaient