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— En ce cas, je demande les biens de mon futur beau-père, rien de plus.

— Ton beau-père n’a pas de biens...

— Oui, je sais que ses terres dépendaient de la seigneurie, qu’il n’en était que le fermier; par votre volonté, cependant, il peut passer de fermier propriétaire.

— Y penses-tu?.. Ce sont là des prétentions exorbitantes.

— Soit! Je n’en démordrai pas pourtant!

— Mais si je te donnais une grosse somme en te disant : — Va-t’en et oublie-moi pour toujours.

— Je m’en irais dans la ville la plus proche raconter que Romain Vassilevitch Konopkof du Caucase se traduit dans la langue de ce pays-ci : baron Gaspadof.

Le seigneur grogna un sourd juron qui n’intimida nullement l’intrépide Josef; celui-ci restait debout, les bras croisés, la tête haute, en homme qui a le sentiment de sa force et le mépris de son adversaire. Le hasard lui avait conféré une puissance dont il comptait se servir sans en abuser.

Au fond rien ne pouvait être plus insupportable au faussaire que d’avoir à tout jamais son ennemi et son vainqueur pour voisin. — Comment, lui dit-il, je serais condamné à te rencontrer sans cesse sous mes pas?..

— Rien n’empêche mon colonel de voyager si notre présence lui est importune;... mais voyez-vous, mon colonel...

— Maudit! que je n’entende plus ce mot.

— Je me déshabituerai de le prononcer... voyez-vous, seigneur, mon beau-père s’est attaché à cet endroit-ci, et il ne s’en séparerait, je le sais, qu’à contre-cœur... Quand on est vieux, on n’aime pas le changement, mon colonel...

— Encore!..

— Excusez, monsieur le baron. C’est une erreur de croire que le juif n’a de goût que pour l’argent et ne tient pas plus à un pays qu’à un autre. Quitter la maison qu’il a bâtie, le champ qu’il a ensemencé lui est fort douloureux... Et quand bien même vous viendriez lui dire : — Voici de l’argent en échange, il ne serait pas consolé, non, seigneur. Tout autant qu’un chrétien il aime la motte de terre sur laquelle l’a jeté sa destinée... et s’il s’agit de la quitter, le vieux juif peut céder à la force... L’argent ne le décidera pas...

— Mais entends donc raison. Cette maison, ces champs, appartiennent-ils à ton beau-père ou bien au baron Gaspadof?

— En aucun cas, répondit Josef avec un sourire moqueur, ils ne sauraient appartenir au baron Gaspadof. Mon beau-père a reçu des mains de l’ancien seigneur une méchante baraque avec la promesse