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beaucoup de résistance, si elle s’avisait de le faire, les écus lui rentreraient presque aussitôt qu’ils seraient sortis; mais enfin elle aurait la loi pour elle, et c’est grâce à cette loi que nous stérilisons dans les caisses de cet établissement 7 ou 800 millions d’argent qui sont parfaitement inutiles et dont il y aurait intérêt à se défaire. On est effrayé de la perte à subir sur la vente de ce métal, et on n’ose prononcer dès à présent la démonétisation. On préfère attendre. Si l’attente n’avait pas d’inconvénient et ne causait de préjudice à personne, nous n’aurions rien à dire; mais pendant qu’on attend, on conserve dans la circulation 7 ou 800 millions qui ne servent à rien, qui sont comme des cailloux dans un sac, et qui cependant coûtent à la société la valeur qu’ils représentent. Croit-on que, si, au lieu de ces 7 ou 800 millions d’argent, il y avait dans le pays pour pareille somme de marchandises et de travaux en plus, comme des étoffes, par exemple, ou des chemins de fer et des canaux, etc., ce pays ne s’en trouverait pas mieux et ne serait pas plus riche? La Banque de France a en ce moment, pour couvrir sa circulation fiduciaire, une encaisse de 2 milliards 81 millions[1]. Croit-on que, si on en retranchait, non pas les 7 ou 800 millions d’argent, car il en faudrait toujours une certaine quantité pour la monnaie d’appoint, mais 600 millions, par exemple, la circulation de papier ne serait pas suffisamment garantie et qu’elle rendrait un service de moins au pays?

Nous avons plus d’or qu’il ne nous en faut pour toutes nos transactions, l’Angleterre en a moitié moins que nous et fait des affaires beaucoup plus considérables. Par conséquent, il n’y aurait pas disette de numéraire, si les 600 millions d’argent nous quittaient. Reste la perle à subir avec la démonétisation. On n’a pas le courage de l’affronter en présence des nécessités de notre budget. On devrait pourtant se rappeler les précédens. En 1870, pendant la fameuse enquête sur la question monétaire, alors que l’argent perdait seulement de 2 à 3 pour 100, nous disions : « Le moment est propice pour opérer la démonétisation, la perte sera minime; prenez garde d’être devancé dans cette voie par d’autres puissances, — et nous avions surtout en vue l’Allemagne, qui déjà se préparait à ce qu’elle a fait depuis; — alors la perte sera plus grande, et la démonétisation plus difficile. » On voulut attendre malgré tout, et aujourd’hui la dépréciation est de 10 pour 100, avec beaucoup de probabilité de la voir augmenter dans l’avenir. On est comme en présence d’un fleuve, attendant pour passer que l’eau cesse de couler; elle coulera toujours, il faut en prendre son parti, et le

  1. Voyez le bilan du 23 mai.