Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelqu’un. Encore a-t-il fallu que le sort, que les circonstances, que les affaires de l’état travaillassent pour lui, qu’il se formât au ciel une conjonction d’étoiles propice à son désir. On peut affirmer que M. Sardou ne serait pas académicien, s’il ne s’était rien passé le 16 mai 1877. C’est le 16 mai qui l’a mis en possession de son fauteuil, en ôtant quelques voix à son redoutable concurrent ; c’est aux hommes qui ont fait ou approuvé le 16 mai qu’il est redevable de son élection, quoiqu’ils aient voté contre lui. Voilà une situation à la fois embarrassante et commode. N’était-il pas permis à M. Sardou de garder toute l’indépendance de son cœur ? À qui aurait-il adressé l’expression de sa gratitude ? Assurément ses bienfaiteurs involontaires l’en tenaient quitte.

Si le 16 mai a été dans la carrière de M. Sardou un heureux accident, c’est une bonne fortune pour la mémoire de Joseph Autran, que l’auteur de Maison neuve et de Patrie ! devenu l’héritier de son fauteuil, ait été chargé de nous raconter sa vie et de nous recommander ses vers. Il a parlé de son prédécesseur avec beaucoup de verve, avec un parfait naturel, avec une grâce charmante, avec une sympathie émue ; il a donné à ses éloges un tour vif et leste, il les a assaisonnés d’anecdotes agréablement contées, et son discours a mérité de tout point le chaud accueil que lui a fait le public. Il n’a eu garde de surfaire Joseph Autran ; il n’a point affirmé que l’auteur des Poèmes de la mer possédât cette suprême liberté de l’esprit ni cette fantaisie souveraine qui sont le partage des tout grands poètes, La muse ne dit tous ses secrets qu’aux naïfs et aux fous ; Autran n’était ni fou ni naïf. Les beautés imprévues, les hasards miraculeux de la pensée et de la langue, les mots tombés du ciel, ce n’est pas dans ses œuvres qu’il faut les chercher. Les grands poètes, semble-t-il, n’inventent rien, ils trouvent ; ils ne font pas leurs vers, leur génie les ramasse. Autran faisait les siens, et on s’en aperçoit ; c’était un habile ouvrier, mais cet ouvrier avait de l’âme ; aussi occupe-t-il au second rang de nos lyriques l’une des premières places, et cette place ne lui sera point ôtée. — « Ami de la solitude et de la retraite, a dit M. Sardou, rebelle un peu trop peut-être à nos idées modernes, dont il ne voit que la turbulence et le fracas, sévère jusqu’à la rigueur envers Paris, où le poursuivent la nostalgie de ses chères campagnes et le désir pressant d’y retrouver l’heureux loisir de son travail, fuyant toute charge publique et toute popularité, étranger à nos débats littéraires comme à nos luttes politiques, non par un détachement égoïste des intérêts du pays, mais par l’heureuse absence de toute ambition, M. Autran est un peu en dehors des choses contemporaines, et dans ses écrits comme dans sa vie il s’est fait une place à part, isolement qu’il convient de respecter. » — « Son bonheur, a ajouté avec non moins de justesse M. Charles Blanc, était de respirer l’air pur des champs, l’air salin de la mer, et de dire en vers faciles tout ce qui