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d’Athènes. Quand il traitait des sujets grecs, Autran mettait trop de gomme dans sa couleur, et rien n’est moins grec que la gomme. Sa vraie muse, à laquelle il n’aurait jamais dû fausser compagnie, était une Provençale qui parlait français ; elle était née sous un buisson près d’un chemin creux ; elle aimait les moutons et elle daignait les garder. Il semble qu’il nous ait fait son portrait dans une pièce qu’il a intitulée Figure à peindre et dont l’héroïne est une pastourelle vêtue

D’un jupon de futaine à plis simples et lourds,
Qui n’exagère pas les contours de la hanche…
Ses petits pieds charmans ont des souliers de bois…
Viens donc, cher compagnon, peindre la belle enfant,
Choisis pour atelier la colline en plein vent.
Les bouvreuils chanteront, t’accordant leur suffrage,
Et le portrait fini, pour te payer l’ouvrage,
Elle t’apportera, riante, un pot de lait
Qui mêle à son écume un goût de serpolet[1].


Autran était un de ces peintres de genre qui ont tort de s’essayer dans la peinture d’histoire. La poésie familière, intime, était son fait ; la plupart de ses Épîtres rustiques sont des œuvres exquises et sans tache, où l’on rencontre çà et là des traits de vérité exacte et pittoresque, dignes d’Horace et de Régnier. Il a raconté qu’en 1832, se promenant dans les environs de Marseille avec M. de Lamartine, qui se disposait à s’embarquer pour l’Orient, il vit l’illustre voyageur s’arrêter tout à coup en pleine campagne pour s’écrier : « Admirable paysage ! quelle majesté ont ces antiques sycomores ! » M. Autran, fort étonné, chercha des yeux ces sycomores et n’aperçut que de petits mûriers rabougris. Ces mûriers qui n’étaient pas sycomores, il les a trouvés dignes d’être chantés, et ils l’ont bien inspiré. S’il préférait parmi les hommes les humbles et les petits, il préférait aussi dans la nature les petits endroits, les coins écartés et solitaires, les paysages agrestes et un peu mélancoliques avec lesquels il faut vivre longtemps pour en sentir le charme et la discrète beauté. Il nous a donné le secret de son vrai talent dans une de ses Épîtres, adressée à un artiste avignonnais, qui s’en allait chercher en Égypte des sujets dignes de son pinceau, le Caire et Memphis, Karnac et les pyramides, des fellahs et des chameaux, des hiéroglyphes et des crocodiles, des sphinx, des obélisques, des piliers de marbre rose, l’ombre des Pharaons,

Et ces vastes monceaux de pierre impérissable
Qu’érigeait à ses dieux, dont il changeait les noms,
Un peuple adorateur des chats et des oignons.


Le poète arrache à ses ravissemens ce chercheur d’aventures, cet

  1. Œuvres complètes de J. Autran, tome II, pages 314-317 ; Paris, Calmann Lévy.