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l’excès dans son habileté, qu’il abusait des petits moyens pour arriver à de grands effets, que la lettre, l’éternelle lettre, jouait un rôle trop considérable, trop décisif dans plusieurs de ses intrigues. Il lui a reproché aussi d’attacher trop d’importance aux minuties de la mise en scène, au mobilier de ses pièces, et de se servir trop souvent de ses meubles « pour amener un tête-à-tête, pour masquer une déclaration, pour favoriser le glissement d’un billet, pour faciliter un évanouissement ou cacher le cadavre d’un amoureux ivre mort. » Il lui a reproché enfin d’abuser des accessoires, et il a cité ce mot du peintre Gros, disant à l’un de ses élèves : « Mon ami, prends garde à ne pas mettre trop de détails, parce que, si tu en mets trop, il n’y en aura plus assez. » Voltaire avait dit dans un style plus énergique : « Les détails sont la vermine qui ronge les grands ouvrages. »

À ces critiques M. Charles Blanc en a ajouté une autre, qui nous paraît beaucoup moins fondée. — « La France, qui se pique d’avoir en cela plus d’atticisme que la Grèce contemporaine d’Aristophane, ne tolère pas facilement au théâtre des allusions qui seraient trop transparentes. Elle admet qu’on fasse de Tartufe un substantif, et d’Harpagon et d’Agnès ; elle n’admet pas qu’un nom propre soit caché sous un nom de fantaisie. À ce propos, monsieur, je serais tenté de vous faire une grosse querelle ou du moins de vous adresser quelques remontrances un peu vives ; mais, toute réflexion faite, j’aime mieux me taire. » C’est à Rabagas sans doute qu’en avait M. Charles Blanc. Dût-il nous soupçonner d’affecter des opinions aristocratiques pour faire croire que nous sommes de bonne maison, nous ne craindrons pas d’avouer que le Rabagas de M. Sardou nous paraît l’une de ses œuvres les mieux venues, l’une de ses comédies où il a dépensé le plus de verve, le plus d’inventions heureuses, le plus de vérité et de finesse d’observation, l’une de celles que le démon a marquées de sa griffe, et que les Camerlin, les Chaffiou, les Vuillard, les Pétrowiski, les faux Camille Desmoulins, sont des figures qui font grand honneur à son crayon. L’impartialité est une vertu, ce n’est pas une muse, et sans contredit Rabagas, comme toutes les comédies politiques, est une œuvre de parti, dont on pourrait faire la contre-partie. Mais quant à découvrir dans cette pièce un mystère d’iniquité et « un nom propre caché sous un nom de fantaisie, » nous n’y avons point réussi, et nous ne savons pas quelle ressemblance il peut y avoir entre Rabagas et l’éloquent orateur que M. Sardou s’est toujours défendu d’avoir voulu mettre en scène. Nous sommes persuadé que M. Gambetta n’a jamais songé à se reconnaître dans ce personnage tragi-comique, pas plus que dans le Caliban de M. Renan, qui pour sûr n’avait pas pensé à lui. O zèle intempérant et indiscret de l’amitié ! Nos amis sont parfois plus susceptibles, plus vifs que nous-mêmes sur nos affaires particulières ; ils se forgent à