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d’une discussion des plus sérieuses, des plus significatives dans le Reichstag, et ce qui aggrave ou caractérise cette discussion, c’est la manière dont elle s’est dénouée.

Le gouvernement, en l’absence de M. de Bismarck toujours indisposé ou occupé des affaires d’Orient, en a été pour ses propositions de salut public, il a été vaincu au scrutin ! Vainement le président de la chancellerie, M. Hoffmann, le ministre de l’intérieur, le comte Eulenbourg, ont déployé toute leur éloquence en faveur de leur projet; vainement M. de Moltke lui-même est intervenu sur ce champ de bataille tout politique, évoquant les souvenirs de la commune de Paris, des « professeurs de barricades et des pétroleuses, » le ministre n’a pu éviter un échec presque éclatant. Il se trouvait dans une situation singulière et assez fausse. Quand il se tournait vers le centre catholique et conservateur, il s’exposait à s’entendre dire par M. Windthorst ou par M. Jœrg que c’était lui qui, par sa politique religieuse ou irréligieuse, depuis quelques années avait donné de la force aux idées, aux passions révolutionnaires; lorsqu’il se tournait vers ses amis les libéraux-nationaux, il rencontrait une opposition réfléchie, décidée, quoique exemple de malveillance. Ce n’est point à coup sûr qu’il y eût une divergence de sentimens au sujet de l’attentat dont l’empereur Guillaume avait failli être la victime ou que le danger du socialisme fût méconnu. Tout le monde était à peu près d’accord sur le caractère périlleux des menées socialistes et démagogiques; mais on était aussi d’accord sur l’inopportunité, sur l’inefficacité de la loi du gouvernement, et un des chefs du parti national-libéral, M. de Bennigsen, l’a dit sans détour, on était d’autant moins porté à accorder de nouveaux pouvoirs « qu’on ne sait pas aujourd’hui qui gouvernera demain, car la crise ministérielle est permanente en Prusse, » Le ministère est resté avec une minorité presque insignifiante, et le vote négatif qui a décidé de la loi a été suivi aussitôt d’un décret qui a clos la session du Reichstag. Le parlement sera-t-il dissous? Reviendra-t-il à d’autres idées dans une session nouvelle? Jusqu’à ce que la question soit tranchée, le gouvernement garde les moyens de répression dont il a disposé jusqu’ici et dont le ministère de l’intérieur, le comte Eulenbourg, a d’ailleurs déclaré qu’il userait « jusqu’à la dernière limite du possible. »

Au fond, le parlement allemand avec son libéralisme a été plus prévoyant et aussi conservateur que le ministère avec ses mesures, extraordinaire de répression et de salut public. Ces lois d’exception, conçues le plus souvent dans un moment d’émotion, sous le coup de quelque événement sinistre, ont le malheur de ce rien empêcher, de ne rien, préserver ; elles n’ont généralement d’autre effet que de jeter les esprits ardens dans les conspirations secrètes, de donner aux idées chimériques. l’attrait du fruit défendu et d’enflammer les partis par la persécution. La