Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son zèle comme député au parlement, de son talent d’écrivain. Il a été l’historien de Gioberti et de Cavour, et il sera bientôt l’historien de La Marmora; aujourd’hui il raconte la vie du soldat couronné qui a été le chef des politiques dans la grande entreprise nationale, et cette vie, M. Giuseppe Massari la retrace en homme qui a tout vu, qui a connu jusqu’aux détails les plus familiers, qui a été souvent le confident de Cavour dans les heures les plus décisives. Dans ces pages émues, pleines de souvenirs et de traits nouveaux, Victor-Emmanuel reparaît tout entier avec sa vive et forte originalité.

C’était assurément un prince fait pour l’œuvre qu’il a accomplie, pour un rôle où il fallait autant de finesse que de résolution. On le traitait quelquefois, surtout au début, assez légèrement, et il le savait. Il avait dans une circonstance avec le comte César Balbo ce singulier dialogue : « On prétend que je n’ai pas beaucoup de tête. — Majesté, répondait Balbo, je n’ai jamais entendu dire cela. — On prétend du moins que je n’ai pas de goût à m’occuper. — Ceci, reprenait Balbo avec un sourire respectueux, je l’ai entendu dire. » En réalité, Victor-Emmanuel s’occupait quand il le fallait; il savait agir ou parler à propos, et il n’est point douteux aujourd’hui que, si Cavour avait conçu l’idée de l’intervention du Piémont dans la guerre de Crimée, c’est le roi qui la décidait ou qui la rendait possible, par sa promptitude à en saisir l’importance, par sa résolution prévoyante. Victor-Emmanuel, avec ces formes familières qui ont fait sa popularité, avait la fierté de sa race, un sentiment aussi élevé que ferme de sa position, de ses devoirs de prince italien. Il avait parfois de brusques reparties qui déconcertaient ses interlocuteurs. Un jour un ambassadeur du roi de Naples, nouvellement arrivé à Turin, lui parlait en grande cérémonie de son trône et des dangers qui le menaçaient. Victor-Emmanuel interrompait aussitôt l’ambassadeur : « Quels sont ces dangers? lui disait-il vivement... je n’ai rien à craindre, monsieur le chevalier, car derrière mon trône il n’y a ni trahison ni parjure... » C’est cette loyauté qui a fait la force, nous dirons presque l’originalité de Victor-Emmanuel. C’est le secret de cette destinée royale qui se confond avec la résurrection d’un peuple, et que M. Giuseppe Massari retrace avec autant d’intérêt que de bonne grâce en donnant de nouveaux élémens à l’histoire de son pays et de notre temps.


CH. DE MAZADE.