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est bien de ce temps où être courtisan ne suffisait pas pour assurer la faveur, mais où ne pas être courtisan suffisait pour assurer la disgrâce. Il est bien de ce temps où un autre diplomate, le cardinal de Polignac, surpris par la pluie dans les jardins de Marly, répondit au roi qui lui témoignait des regrets : « Sire, la pluie de Marly ne mouille point ; » de ce temps encore où le cardinal d’Estrées, entendant au dîner du roi celui-ci se plaindre de l’incommodité de n’avoir plus de dents, répliqua: « Des dents? sire, eh! qu’est-ce qui en a? » Or il les avait fort blanches et très belles.

Dans les trois années qui suivirent cette première tentative infructueuse, Philippe IV eut deux fils. Bien que fort débiles l’un et l’autre, la succession masculine semblait assurée. Dès lors furent reprises les négociations de paix et de mariage. Mazarin et le duc d’Olivarès se chargèrent de toutes les affaires tenant à la paix, tandis qu’à Lionne et à don Pedro Coloma fut confié le soin de traiter toutes les questions relatives au mariage. Dès le début, Lionne et Coloma furent en désaccord sur deux points. Coloma exigeait que l’infante Marie-Thérèse renonçât à ses droits sur la couronne espagnole comme Anne d’Autriche l’avait fait en épousant Louis XIII. Il prétendait en outre que la dot de l’infante fût représentée par les conquêtes territoriales dont le traité général de paix assurait la possession à la France. Lionne consentit à la renonciation et obtint une dot en argent. Mais en réalité il triompha sur les deux points, grâce à une inspiration des plus heureuses et qu’on ne saurait trop mettre en relief quand on considère les suites capitales qu’elle a entraînées. C’est lui en effet qui conçut la pensée et imposa l’obligation d’insérer dans le contrat que la validité de la renonciation serait subordonnée au paiement de la dot. Deux lignes, dont la brièveté devait dissimuler l’importance, suffirent à Lionne pour ouvrir la voie d’agrandissement dans laquelle se jettera plus tard Louis XIV : « Moyennant le payement desdits cinq cent mille écus d’or aux termes ci-dessus dits, la sérénissime infante Marie-Thérèse renonce, etc. » Coloma vit le péril, et résista vivement. Les deux négociateurs en vinrent même à un débat assez aigre. Mais, Lionne ayant demandé à son contradicteur si le gouvernement espagnol avait quelque pensée de ne pas payer cette dot, Coloma se détermina à consentir, en disant : « Il faudra que l’Espagne abîme entre ci et la veille des noces, ou que tous les Espagnols, tant que nous sommes, engagions tout notre bien et nous mettions tous en prison, s’il est nécessaire, pour ne manquer pas un seul instant à payer les cinq cent mille écus d’or, et toujours un jour avant l’échéance de chaque terme,