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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

heures à six heures, on transporta les effets de commerce en portefeuille ; de six heures à minuit, on descendit les titres déposés. Du haut de la Banque jusqu’au fond des sous-sols, les garçons de recette, habit bas et manches retroussées, sur les escaliers, dans les couloirs, dans les serres et dans les bureaux, faisaient la chaîne, se passaient de main en main les sacs d’or contenant 10,000 francs, les sacs d’argent de 1,000 francs ; les liasses de billets représentant un million, les billets à ordre, les enveloppes contenant les titres de toute provenance et de tous pays. Il y avait là de vieux garçons de recette dont le dos s’était courbé à porter des sacoches pleines, qui se mouchaient plus souvent que d’habitude, et qui, furtivement, s’essuyaient les yeux du revers de la main. Lorsque tout fut fini, lorsque le dernier billet, le dernier écu, le dernier titre eut trouvé place dans les caves, on souffla les bougies. Le contrôleur, le caissier, repoussèrent les quatre portes après avoir fermé les douze serrures, et, tristes, sans se parler, ils remontèrent l’étroit escalier en vrille où deux personnes ne peuvent passer de front. Alors on apporta les sacs de sable, et, pendant plus de deux heures, on les vida dans cette sorte de puits muni de degrés par où l’on va dans les caves. Le sable glissait avec un petit bruit strident ; un des chefs de service dit : — C’est comme au cimetière lorsque l’on jette la terre sur le cercueil ; — il avait des larmes dans la voix, et plus d’une paupière était humide. Il y avait de la douleur, mais il y avait surtout une sorte de honte insurmontable. Être la Banque de France, être la première institution de crédit du monde, avoir créé un papier qui est l’équivalent de l’or, avoir développé l’industrie d’une nation, favorisé toutes les transactions du commerce, être le dépositaire respecté de la fortune publique, avoir versé ses richesses entre les mains de la France pour l’aider à se défendre et être obligée de se cacher, de fuir, parce qu’une poignée de bandits et d’escrocs règne par la violence, commande à des ivrognes, protège les assassins, discipline les incendiaires et menace d’anéantir tout ce qui fait la gloire des civilisations ; c’est dur, et tous les honnêtes gens qui étaient là le sentaient avec une insupportable amertume. Lorsque tout fut comblé, lorsque la cage où tourne l’escalier ne fut plus qu’un monceau de sable nivelé, M. Mignot ferma l’énorme porte à trois pênes, à sept verrous, à neuf combinaisons ; il était alors trois heures du matin. Vienne l’incendie, les caves, abritées de toutes parts, restitueront le dépôt qu’on leur a confié.

La journée du dimanche 21 mai était commencée, journée dont il sera longtemps parlé dans l’histoire, qui venait de mettre fin aux ribauderies de la commune et déchaîner sur Paris le plus horrible cyclone révolutionnaire où jamais ville ait failli disparaître. Le marquis de Plœuc avait réuni le conseil des régens pour lui communiquer