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l’on vit une troupe d’une centaine d’hommes obéissant à un chef de bataillon à cheval, qui prenait position devant la Banque. Un délégué du comité de salut public, accompagné du citoyen Hubert-Arman, directeur-général du contrôle de la solde de la garde nationale, entra dans la cour. Tous deux portaient des revolvers à la ceinture et se donnaient des airs de matamore ; cependant ils tenaient leur chapeau à la main et ne paraissaient pas aussi rassurés qu’ils auraient voulu l’être. Ils demandèrent à parler à Charles Beslay, auquel ils remirent ce que l’euphémisme de la commune appelait impudemment un mandat. C’était tout simplement un reçu libellé d’avance et renforcé de signatures qui, comme le « quoi qu’on die » de Trissotin, en disaient beaucoup plus qu’elles ne semblaient. « Paris, 23 mai 1871. Reçu de la Banque de France la somme de cinq cent mille francs, valeur réquisitionnée d’ordre du comité de salut public. Le refus de cette somme entraînerait l’occupation de la Banque. Le membre de la commune délégué aux finances, Jourde ; le membre du comité de salut public, E. Eudes ; vu et approuvé, le délégué civil à la guerre, Delescluze. »

Comme la veille, on tint conseil ; il était bien tentant de s’emparer des deux émissaires et de les mettre en sûreté en attendant l’armée française, qui ne pouvait plus tarder longtemps à montrer ses têtes de colonnes. On avait bonne envie de disperser à coups de fusil la bande qui piétinait devant la Banque et n’eût point été fâchée de s’y approvisionner un peu. Cet avis fut donné ; on hésitait à le suivre. Le commandant Bernard fut appelé au conseil : « Combien de temps pouvez-vous tenir avec votre armement et vos munitions ? — Vingt-quatre heures. » Si l’on eût su où étaient les troupes régulières, on aurait peut-être couru cette périlleuse aventure ; mais, comme la veille encore, ce fut l’opinion de la sagesse qui l’emporta. Était-ce au moment où la Banque allait recueillir le fruit de sa conduite prudente qu’il fallait compromettre le résultat acquis par le refus d’une somme relativement insignifiante ? On ne le pensa pas, et l’on fit droit à cette brutale réquisition, qui fut la dernière. Elle fermait le compte des sommes extorquées à la Banque par le comité central et par la commune. Le total s’élève à 46,625,200 fr. C’est une moyenne quotidienne de 237,500 francs qui, si elle a été exclusivement employée à la solde des fédérés, suppose que 158,000 hommes participaient chaque jour à la distribution des trente sous réglementaires. Ce chiffre ne concorde pas avec ceux du Rapport en date du 3 mai 1871 sur la situation des légions, qui fixe le nombre des fantassins à 190,425 et à 449 celui des cavaliers (bataillons de marche, 96,325 ; bataillons sédentaires, 94,100).