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choses qui favorisent le plus la prostitution clandestine, et il en sera ainsi tant qu’une législation plus forte ne mettra pas dans la main de l’administration une arme plu-solide que des amendes insignifiantes. La jeune fille sera alors discrètement invitée par l’agent à l’accompagner au poste de police, et ce ne sera qu’en cas de résistance qu’il emploiera la contrainte. Heureux si une foule dont on peut deviner la composition n’intervient pas pour s’opposer à l’arrestation, et si le lendemain un témoin n’obtient pas l’insertion dans quelque journal d’une lettre où il protestera en faveur de l’innocente victime. Pendant ce temps, nous allons suivre cette victime, et voir comment il va être procédé avec elle.

Toute insoumise arrêtée est, après un séjour plus ou moins long au poste de police, conduite au dépôt central, dont j’ai déjà eu occasion de parler. C’est une règle invariable et très sage que toute personne arrêtée pour prostitution clandestine doit être, au dépôt, isolée et enfermée en cellule. Les cellules, suffisamment bien éclairées et aérées, qui leur sont affectées, sont placées au rez-de-chaussée et au premier étage dans un large corridor où se tient constamment une sœur. Lorsque l’arrestation d’une insoumise a présenté quelque particularité, elle est interrogée par le chef du service actif des mœurs, qui veut s’assurer si ses agens ont bien procédé avec mesure et discernement. Mais il n’a aucun pouvoir de relaxation ; c’est au deuxième bureau de la première division qu’a lieu le véritable interrogatoire, à la suite duquel une décision interviendra, et le service actif n’est plus mis en jeu que pour faire prendre par des agens autres que ceux qui ont opéré l’arrestation des renseignemens demandés au commissaire de police du quartier ou aux voisins (dans ce cas toujours avec discrétion), renseignemens qui figurent au dossier. Une fois l’arrestation opérée, le rôle du service actif est terminé, celui du service administratif commence.

Le cabinet du deuxième bureau, où l’on procède à l’interrogatoire des insoumises, est aujourd’hui situé dans une cour voisine du dépôt. À ce point de vue, l’installation est commode ; elle n’est défectueuse qu’au point de vue de l’espace trop étroit qui est alloué aux employés et aux dépendances. Les femmes arrêtées la veille ou l’avant-veille sont amenées une à une devant le sous-chef du bureau, après qu’on s’est préalablement assuré de l’état de leur santé, et l’interrogatoire commence. C’est là qu’il faut avoir le courage de passer quelques longues et pénibles heures, dût-on en ressortir avec une sorte de nausée morale où le dégoût combat la pitié. C’est là aussi qu’on apprend à apprécier la valeur des efforts infructueux et des moralités relatives qui ne sauraient compter dans la balance de la justice humaine, mais qui seront pesés un jour