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sœurs, qui fort sagement l’ont engagée à solliciter de nouveau son placement dans une maison religieuse, mais cette fois loin de Paris, à Sainte-Anne-d’Auray. On l’y fera conduire, mais d’abord il faut écrire à sa famille et lui demander l’argent nécessaire au voyage. Si la famille refuse d’envoyer l’argent, on réquisitionnera le transport par chemin de fer. Mais, comme tout cela va prendre du temps, on la place pour quelques jours à Saint-Lazare, en hospitalité. Plus simple encore est la décision à prendre en ce qui concerne celle-ci. Ayant perdu ses parens en bas âge, elle a été élevée dans un orphelinat tenu par des religieuses. Un instant, elle a cru à sa propre vocation, et elle a passé quatre mois au noviciat. Elle en est sortie pour se placer comme domestique. Une faute qu’elle a commise lui a fait perdre sa place, et venant à Paris, un peu au hasard, pour chercher à y trouver une famille de sa connaissance, elle allait suivre un homme dont elle avait écouté et un peu provoqué les propositions lorsqu’elle a été arrêtée. Elle demande avec instance à être placée dans un asile ; mais elle veut qu’il soit tenu par des religieuses. « Je ne veux pas de dames, des sœurs. » On lui propose un refuge bien connu à Paris. Elle hésite un peu en apprenant que ce refuge est tenu par des sœurs du même ordre que celles qui l’ont élevée, car elle a peur que ses anciennes maîtresses n’aient du chagrin de la savoir là ; cependant elle finit par accepter. Elle y sera demain.

Je pourrais multiplier les exemples à l’infini, mais j’ai tenu à ne parler que de ce qui s’est passé sous mes yeux. Je crois que ces exemples suffisent pour donner une idée du tact, de la mesure, de l’humanité avec laquelle ce service est dirigé. Le spectacle auquel j’ai assisté se reproduit chacun des jours de l’année, sauf le dimanche, sans qu’il y ait de la part des fonctionnaires qui en ont la responsabilité le moindre relâchement, la moindre défaillance, ni le moindre découragement en présence de l’injustice des attaques dont ils sont parfois l’objet. Chacune des 2,582 arrestations qui ont été opérées en 1877 constitue une espèce distincte sur laquelle il faut statuer après enquête et examen, par une décision particulière et sans qu’il y ait d’autre principe et d’autre règle générale que celle-ci : n’avoir recours à l’inscription que comme moyen extrême, et lorsque tous les autres sont épuisés. Aussi jamais, je dis jamais et je défie qu’on cite un seul exemple contraire, une jeune fille n’est-elle inscrite lorsqu’elle est arrêtée pour la première fois. On se contente d’un sévère avertissement, et parfois la leçon suffit. L’émotion que l’arrestation cause à la jeune fille, la honte dont la famille se sent atteinte, apprendront à l’une à mieux se conduire, à l’autre à mieux veiller, et un séjour de quarante-huit heures en cellule au dépôt, dans une solitude propice aux