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L’ENFANCE À PARIS.


Avais-je tort de dire que la surveillance exercée par la police sur la prostitution, et en particulier la répression de la prostitution clandestine, apportait de sérieux obstacles à l’extension de cette forme spéciale du vagabondage ? Si ce honteux trafic, dont le législateur a eu depuis Moïse jusqu’à nos jours sans cesse à se préoccuper, n’était pas contenu dans certaines limites, si la voie publique était libre, si chaque jeune fille, lasse du travail et amoureuse du plaisir, pouvait sans obstacle descendre dans la rue, n’est-il pas évident que la tentation augmenterait en raison directe de la facilité que chacune aurait à s’y livrer ? L’arrestation au premier pas, l’émotion et la honte salutaire qu’elle cause, n’arrêtent-elles pas souvent au sommet de cette pente celles qui n’auraient peut-être jamais la force de la remonter si elles avaient roulé jusqu’au bas ? L’administration de la police, qu’on se plaît à représenter comme inhumaine et tracassière, intervient au contraire ici avec son rôle trop souvent méconnu de bienfaisance prévoyante, et, au lieu de précipiter les jeunes filles malgré elles dans l’abîme de corruption, comme on l’en accuse si légèrement, elle les remet de sa propre main dans la droite voie. Dans quelle mesure la préfecture de police fait-elle usage par contre de son droit d’inscription ? Les inscriptions opérées en 1877 se sont élevées au chiffre de 553, soit environ le cinquième des arrestations, dont il n’y avait pas une seule qui ne fût justifiée : 326 inscriptions ont eu lieu sur demande, 227 d’office. Parmi les insoumises inscrites, 398 étaient majeures de vingt et un ans, 92 majeures de dix-huit ans, c’est-à-dire que les unes et les autres étaient des femmes faites, ayant parfaitement mesuré la portée de l’acte qu’elles accomplissaient. 63 seulement étaient mineures de dix-huit ans, et sur ce nombre il n’y en avait peut-être pas une seule qui n’eût réclamé son inscription. Je regrette de ne pouvoir mettre en regard le nombre des inscriptions qui ont été refusées et le nombre des jeunes filles auxquelles la préfecture de police est venue en aide soit en les faisant entrer dans des refuges, soit en déterminant leur famille à les reprendre. Mais la préfecture de police n’a pas l’habitude de tenir statistique du bien qu’elle fait, et, malgré ma demande, ce chiffre n’a pu m’être fourni. Il n’y a qu’une indication précise que je puisse donner. Le nombre des jeunes filles transportées en province par réquisition de chemin de fer, parce que leurs parens avaient refusé de payer les frais du voyage, s’élevait déjà au 1er avril de cette année au chiffre de 12, pour une période de trois mois. Or ce chiffre ne représente qu’une catégorie minime, la plupart des insoumises arrêtées ayant leurs parens à Paris ou étant rapatriées aux frais de leur famille. D’après ce que j’ai vu, je n’hésiterais pas à évaluer au tiers des arrestations de mineures, soit à plus de 500, le nombre de celles qui sont