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très capable de se charger d’une telle mission, mais je crois que l’on s’est trompé. On a dû commettre quelque confusion en prenant son nom pour celui de L.-A. Leullier, colonel d’état-major, directeur des ateliers de pyrotechnie, installés, dans les premiers jours de mai, au Palais de l’Industrie. Ceci n’est qu’une supposition, mais elle me paraît fondée, et je dois me hâter de dire qu’aucun des documens que j’ai consultés ne prouve que Lullier ou Leullier ait été compromis dans l’incendie du Palais-Royal. Boursier suffisait ; il y fut aidé courtoisement par le Polonais Kaweski, par le garçon-boucher-colonel Victor Bénot, qui vinrent lui donner un coup de main, après avoir brûlé les Tuileries et avant de mettre le feu à la bibliothèque du Louvre. Un camion chargé de bonbonnes de pétrole, traîné par une demi-douzaine de fédérés, entra dans la cour du Palais-Royal. Sans plus tarder on se mit à la besogne. Léopold Boursier avait pour collaborateurs dans cette œuvre patriotique Joseph Hinard, capitaine d’état-major à la première légion, Alfred Bernard, ouvrier bijoutier, colonel délégué du IIIe arrondissement de Paris, et Pierre Rey, capitaine au 1er bataillon. Ces quatre sacripans procédèrent méthodiquement après avoir mis dans leurs poches beaucoup d’objets précieux appartenant au prince Napoléon et après s’être amusés à briser les glaces à coups de crosse de fusil ; peut-être quelques-uns de ces badigeonneurs au pétrole se rappelèrent-ils avec orgueil que le 24 février 1848, le peuple victorieux, « calme dans sa force et dans sa majesté, » avait jeté par les fenêtres tout ce que renfermait le palais, meubles, tentures, tableaux, objets de collection, en avait proprement fait, dans la cour d’honneur, plusieurs tas que l’on avait allumés en riant beaucoup. On allait recommencer, mais en se conformant aux lois du progrès et en utilisant les moyens perfectionnés que la science fournit actuellement aux incendiaires. Trois foyers furent préparés : le premier dans le pavillon de Valois, au rez-de-chaussée, au premier et au second étage ; le second dans le bâtiment qui fait façade sur la cour d’honneur ; intelligemment et pour bien démontrer comment la commune comprenait la protection des lettres, les huiles minérales furent versées dans la bibliothèque ; le troisième foyer fut disposé de façon à enflammer le pavillon de Nemours et à atteindre la Comédie-Française ; dans ce dessein l’on entassa au milieu du corps de garde, sur un monceau de sable, des bancs, des chaises, des coures de bois ; cela constituait un bûcher qui remplissait presque toute la salle, on y cassa deux ou trois bonbonnes de pétrole, et ainsi tout fut sagement disposé. Boursier, en colonel prudent, avait fait refluer ses hommes sur l’Hôtel de Ville, où l’on rappelait tous les isolés, afin d’en former de petits corps que l’on