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faire concourir au salut commun. Il appela ces braves gens près de lui, excita leur courage, fit appel à leur dévoûment et leur promit une gratification que leur bon vouloir eût rendue inutile. Ils appartenaient tous à M. Frédéric Vernaud, entrepreneur de travaux publics, et étaient placés sous les ordres directs de leur conducteur, M. Louis Dupont. Ils n’hésitèrent pas et s’offrirent, sans condition, à courir au Palais-Royal. Une pompe fut amenée, ils s’y attelèrent ; on ouvrit à deux battans les portes de la Banque, et ils apparurent dans la rue de La Vrillière. Nul n’avait.dormi dans le quartier, on peut le croire. Tous les habitans des rues voisines, secoués par l’inquiétude, étaient accoudés à leur fenêtre ou jasaient sur les trottoirs. Lorsqu’ils virent les ouvriers traînant la pompe, ce fut un cri unanime : Vive la Banque ! Et pour mieux leur faire la route libre, chacun se jeta valeureusement sur la barricade de la rue Radziwill que ne défendait plus aucun fédéré, et s’empressa de la démolir. Précédés, guidés par M. Louis Dupont, les vingt-neuf ouvriers-maçons, tailleurs de pierre, terrassiers, menuisiers, serruriers et fumistes, partirent au pas de course. La petite pompe sonnait joyeusement sur le pavé, pendant que la sinistre fusillade de la guerre civile recommençait à crépiter dans le lointain. Le premier soin de M. Dupont, averti probablement par M. Lesaché, fut de courir au poste du pavillon de Nemours, d’en faire enlever les lits de camp, d’en démolir le bûcher préparé qui « braisait » sans flamber encore, grâce au tas de sable dont l’action absorbante avait en partie neutralisé celle du pétrole, et de préserver de la sorte toute cette aile du palais contiguë à la Comédie-Française. Rapidement on arma les deux pompes amenées dans la cour d’honneur par les habitans du quartier, et l’on put attaquer l’incendie d’une façon quelque peu sérieuse, malgré les coups de fusil isolés qui parfois venaient encore troubler les travailleurs sans les interrompre. On avait pu monter sur la terrasse, briser les fenêtres et opérer le déménagement d’une partie des objets précieux. « Ce que l’on a sauvé du gouffre est incalculable, dit une lettre d’un témoin oculaire qui fut toujours au poste le plus périlleux, tentures, meubles, pendules, etc., etc., arrachés du milieu des poutres qui tombaient du plafond du deuxième étage dans le grand salon d’attente ; les maçons se servirent de la lance comme de vrais pompiers ; ah ! les braves ouvriers ! » A sept heures, trois pompiers de Paris, le caporal Barthélémy, les sapeurs Polet et Fouquet, qui appartenaient au poste spécial de la Banque, sont envoyés par M. de Plœuc, arrivent et, sous leur direction, les efforts de sauvetage deviennent raisonnes et méthodiques. Quelques minutes après, cinquante hommes du 12e bataillon, c’est-à-dire du bataillon de la Banque,