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tournent contre eux ; son malheur fut de régner au moment où la monarchie s’écroulait, condamnée comme le paganisme par son âge, damnata vetustate. L’affaiblissement des idées religieuses avait changé l’objectif de la vis et remplacé le problème du bonheur éternel par le problème du bonheur terrestre. Le droit divin, c’est-à-dire le plus ferme appui du trône capétien, était ruiné sans retour. Pour les hommes qui dirigeaient l’opinion, il n’y avait de divin que la Divinité, de souverain que la justice. Louis XVI fut sommé de réaliser les principes qui étaient devenus l’Evangile des temps nouveaux, d’associer ses sujets à l’exercice de la souveraineté, de réformer l’impôt, de liquider la dette, en un mot d’organiser la monarchie sur les bases d’un droit qui était la négation complète du droit ancien. Le malheureux prince se trouvait comme emprisonné entre cette perpétuelle contradiction. La lutte était engagée entre le passé et l’avenir. Quelque résolution qu’il prît, fût-ce même les meilleures, il rencontrait toujours des obstacles, il semblait même les créer à plaisir en défendant les doctrines de ses prédécesseurs, en affirmant comme Louis XV la plénitude et l’universalité de son pouvoir, et l’on eût dit qu’il était voué à la fatalité qui dans le drame antique poursuit les races royales maudites par les dieux[1].

Pour satisfaire l’opinion, et rendre en même temps hommage à la tradition monarchique, Louis XVI rétablit le parlement, malgré l’avis de Turgot, le 12 septembre 1774. La plupart des conseillers et des présidens appartenaient à d’anciennes familles de robe ; ils héritaient des préjugés de leurs ancêtres, en même temps que de leurs charges, et, comme toutes les corporations puissantes qui s’attachent au passé parce qu’elles lui doivent leur grandeur, le parlement se montra plein de défiance pour les réformes[2] : conversion de la corvée personnelle en prestations en argent, payables par les propriétaires fonciers, suppression des. maîtrises et des jurandes, abolition de la torture, établissement des assemblées provinciales. Il fallut pour les faire enregistrer des lettres de jussion et des lits de justice ; mais ce n’étaient pas des réformes partielles, toutes sages qu’elles fussent, qui pouvaient prévenir l’effondrement de l’ancien régime.

  1. Sous aucun autre règne, l’opinion ne fut plus mobile. Avant Louis XVI, les rois n’avaient jamais eu qu’un seul surnom : Charles le Sage, Charles le Victorieux, Louis le Grand Louis XVI en a eu cinq qui marquent les diverses périodes de son règne et de son agonie : 1783, Louis le Bienfaisant, — 1789, Restaurateur de la Liberté, — 1790, roi des Français, — 1792, M. Veto, — 1793, Louis Capot.
  2. On en trouvera le tableau dans un livre fort intéressant, récemment publié par M. Sémichon : les Réformes sous Louis XVI, 1 vol. in-8o.