Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’associer à la déclaration que M. de Montlosier, dans le même temps, adressait à M. de Villèle, en terminant une de ses brochures : — « Je vous le déclare dans toute la sincérité de mon âme, au moment où il me faudrait prononcer sur votre accusation, je ne pourrais faire autrement que de vous condamner à mort. »

Le jour où M. de Villèle succombe sous la coalition de la droite et de la gauche (5 janvier 1828), quelle est la situation des nouveaux ministres ? Esprits libéraux et honnêtes, petit groupe d’élite commandé par un orateur d’une grâce merveilleuse, ils sont condamnés d’avance comme leurs prédécesseurs, mais condamnés à une mort plus prochaine. La majorité de la droite, si puissante vers 1825, amis trois ou quatre ans à se détruire elle-même ; M. de Martignac, en prenant le pouvoir, ne trouve les élémens d’aucune majorité. A gauche sont des libéraux défians, exigeans, que les violences de la réaction exaspèrent de jour en jour, et qui tiennent pour insuffisantes ou pour suspectes les ouvertures les plus loyales ; à l’extrémité opposée sont les fanatiques d’autant plus irrités qu’ils ont travaillé pour d’autres, et que, si M. de Martignac réussit, c’est au profit des centres qu’ils auront désorganisé la droite. Ce noble Martignac, si doux, si persuasif, si courageux, qui a laissé un si beau souvenir de modération et de patriotisme, les insulteurs de la droite l’appellent un conseiller de malheur, le serviteur le plus félon de la royauté en ces temps de félonie. C’est lui qui achève de tout perdre. C’est lui qui met le comble « aux transactions lâches et stupides. » Il est temps, ajoute la presse royaliste, « que les prétendus ministres de l’opinion fassent place aux ministres du roi. »

Le ministre du roi, l’histoire connaît son nom. Le voilà qui arrive, salué par les acclamations de l’extrême droite. Il arrive calme, souriant, ravi par je ne sais quelle extase intérieure. Chateaubriand a résumé d’un mot le caractère de M. de Polignac lorsqu’il l’appelle « un muet éminemment propre à étrangler un empire[1]. » Si le muet tarde à faire son coup, l’extrême droite s’indigne. Qu’est-ce donc que le ministère attend ? Veut-il s’assurer d’abord les suffrages des chambres ? Il s’agit bien des chambres ! Tous les organes de la droite sont d’accord sur ce point : « Il est des circonstances, dit la Gazette de France, où le pouvoir des rois peut s’élever au-dessus des lois. » La Quotidienne est plus impérieuse : « Quand le roi a dit : je veux, la loi même a parlé. » Le Drapeau blanc trouve une formule plus brève encore : « La majorité, c’est le roi ! »

Voilà comment les conservateurs ont détruit l’une après l’autre

  1. Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, t. IX, p. 154.