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possession du droit de s’administrer elles-mêmes, ont obtenu une représentation provinciale et municipale. Le régime représentatif s’est ainsi introduit dans l’empire autocratique : s’il est aujourd’hui borné aux intérêts locaux, il s’étendra un jour, avant la fin du siècle peut-être, aux intérêts généraux de l’empire. Une nouvelle guerre eût pu hâter ce dénoûment. Quel que soit le développement des libertés publiques en Russie, les franchises nouvellement accordées aux provinces et aux villes en seront le point de départ ; les formes actuelles du self-government local pourront même servir de type ou de modèle aux libertés politiques. C’est dire assez l’intérêt de cette expérimentation du régime représentatif sur un sol aussi neuf.

L’empereur Alexandre II n’est pas le premier qui ait voulu donner à la nation, aux villes et aux provinces, une part dans l’administration. Les inconvéniens de la centralisation étaient depuis longtemps ressentis ; depuis longtemps le gouvernement impérial avait réclamé pour ses fonctionnaires le concours et le contrôle des administrés. Dès avant la révolution française, la grande Catherine avait prétendu associer les populations à la gestion de leurs propres affaires. Chez aucun des peuples du continent, les droits des habitans vis-à-vis des fonctionnaires n’étaient plus étendus et mieux établis en droit, chez, aucun ils n’étaient plus restreints et moins reconnus dans la pratique.

L’omnipotence du tchinovnisme, institué par Pierre le Grand, avait des défauts trop manifestes pour échapper aux yeux de la femme qui corrigeait son œuvre en la continuant. Soit pour limiter le règne absolu de la bureaucratie, soit pour complaire à l’esprit libéral de son siècle, Catherine II attribua aux deux classes qu’elle venait d’organiser en corporation, à la noblesse dans les campagnes, à la bourgeoisie et aux marchands dans les villes, un rôle considérable dans l’administration aussi bien que dans la justice locale[1]. L’oukase de 1785 est, dans ses principaux traits, demeuré en vigueur jusqu’en 1864. C’était à la noblesse, au dvorianstvo, que la tsarine avait concédé les droits les plus importans. Ce n’était pas là une faveur due à des préjugés aristocratiques. Dans la Russie du servage, la noblesse était la seule classe civilisée, la seule européenne, presque la seule classe d’hommes libres. Pour l’investir de telles prérogatives, Catherine avait essayé de la constituer sur le modèle des noblesses de l’Occident. Les droits ainsi concédés aux gentilshommes de province étaient considérables, énormes même. Si le dvorianstvo eût tenu de son origine quelque force, quelque autorité propre, jamais l’autocratie ne se fût ainsi dépouillée à son

  1. Voyez à cet égard la Revue du 1er avril 1876.