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pour leurs besoins. Dès leurs débuts, les assemblées provinciales n’ont pu faire face à leurs charges qu’en créant de nouveaux impôts. Cette nécessité seule devait singulièrement ébranler la popularité des institutions nouvelles. Les zemstvos tiennent de la loi le droit de créer des taxes à leur profit, mais dans la pratique ce droit est limité par les charges des contribuables d’un côté, par le veto du gouverneur de l’autre. Les états provinciaux, trouvant la propriété foncière déjà trop imposée, voulurent frapper la richesse mobilière, le commerce et l’industrie, qui en Russie sont encore notablement moins imposés que l’agriculture. Les marchands des villes, dont les représentans sont en minorité dans les assemblées territoriales, obtinrent l’appui de l’état contre la majorité rurale des zemstvos. Un oukase de 1867 a fixé au quart de l’impôt perçu au profit du trésor le maximum des taxes auxquelles les zemstvos peuvent assujettir les licences et patentes commerciales ou industrielles.

Les états provinciaux ont ainsi été obligés de retomber sur la propriété foncière, qui doit comme par le passé fournir la plus grande partie des contributions provinciales. Cette nécessite a naturellement refroidi l’ardeur progressive des deux classes agricoles qui dominent dans ces assemblées. Le paysan, qui souvent plie déjà sous le double faix de la capitation et des redevances de rachat[1], est peu soucieux de se laisser imposer un fardeau de surcroît. Comment en pourrait-il être autrement, alors que dans nombre de contrées le revenu normal de la terre est sensiblement inférieur à ses charges annuelles ? Le propriétaire de son côté, le pomêchtchik, bien que d’ordinaire plus épargné par l’impôt, se ressent souvent encore de l’émancipation qui l’a privé des bras de ses serfs ; il répugne à se laisser taxer tout seul pour des dépenses dont en général le paysan profite plus que lui. La classe qui aurait le moins de peine à porter des charges, nouvelles est en effet la moins intéressée à fournir au zemstvo des ressources qui pour une bonne part sont employées à l’instruction populaire ou à l’assistance publique. Marchands des villes, propriétaires individuels, paysans des communes, les trois catégories de contribuables représentés aux états provinciaux, ont souvent ainsi reculé devant la crainte d’augmenter démesurément ou inutilement leurs charges. De tels soucis refrènent la passion des réformes et bornent les projets d’amélioration. Dans les zemstvos des provinces les moins favorisées, l’indifférence et l’apathie sont ainsi nées de l’accablement et de l’impuissance.

  1. Voyez nos études sur l’Émancipation des serfs et sur les finances russes, Revue du 1er août et du 15 décembre 1870.