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Apulée ne se doute de rien, ne prévoit rien ; il écrit au jour le jour pour une grande ville en train de se dénationaliser, pour cette Rome alexandrine des Antonins, où le mythe grec, la poésie et le roman d’art trouvent seuls désormais des amateurs. Et cependant voyez l’aventure : cette œuvre, en apparence toute de mode, survivra, et son influence s’éternisera sur les imaginations bien autrement universelle et fécondante que tel volume dont le public célèbre l’auteur. Horace a ses dévots, sa petite église, qui, de génération en génération, se perpétuent ; ceux-là même qui ne l’ont jamais lu se font un devoir de le citer ; le nom d’Horace est plus gros que lui. Pour Apulée, c’est le contraire ; en dehors des érudits et des curieux, nul ne s’en informe. Cela tient, je crois, à deux causes : la première qu’il faut certaines conditions climatériques pour rendre un nom intéressant et le pousser avec avantage vers la postérité. Il y a des siècles tout en lumière où quelques pages réussies de prose ou de vers vont classer un homme. Du siècle d’Auguste, on goûte, on retient tout, autant pour celui de Louis XIV, où c’est assez d’un sonnet pour qu’on devienne immortel ; en revanche, qui s’occupe aujourd’hui des poètes, grands ou petits, de l’ère byzantine ; qui voudra servir de clientèle à ces écrivains de la décadence romaine ? Leurs ouvrages, passe encore ; mais leurs personnes ! Il n’y a qu’heur et malheur sur cette terre : ici le soleil rayonnant sur tous, là l’ingrate nuit couvrant tout. Quelle idée aussi d’aller vivre au IIe siècle ! Comment peut-on être Persan ? disait Montesquieu. La seconde des causes dont j’ai parlé vient du sujet même de ces œuvres : légendes, romans, contes de fées. Dans ces livres dont s’empare bientôt l’imagination de tous, l’auteur finit par ne plus compter, ou plutôt ces livres-là n’ont pas d’auteur ; celui-ci tout le premier, qu’il nous plaît d’attribuer à l’invention d’Apulée et qu’Apulée emprunte aux mythologies de la Grèce égyptianisée : Dissertatio qua fabula Apulejana de Psyche et Cupidine cum fabulis cognatis comparatur. Délicieux motif de thèse sur lequel un savant allemand, le docteur Friedländer, s’est exercé jadis et, que je recommande, car il prête aux variations. Qu’importe d’ailleurs que ce roman de Psyché soit de seconde main, s’il nous a valu dans tous les arts des créations dont quelques-unes sont des chefs-d’œuvre ? La renaissance en est peuplée ; on l’a dit, cette amourette enchantée, qui se termine par le mariage d’une mortelle avec un dieu après une étonnante succession d’aventures diverses, devait tenter le génie des maîtres. Psyché tenant la torche, — Psyché abandonnée, — Psyché aux enfers, — les noces de l’Amour et de Psyché, — sujets toujours nouveaux, toujours et partout reproduits, annotés, commentés par la peinture, la sculpture et la gravure ! Des fresques de Raphaël à la Farnésine, aux plafonds de