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coureurs. Ils arrivent sous les murs que Datis et Artapherne espéraient surprendre, au moment même où la flotte ennemie venait, après avoir doublé le cap Sunium, mouiller devant Phalère. L’échec pour les Perses était complet. Leurs vaisseaux demeurèrent quelques jours sur leurs ancres, puis ils retournèrent en Asie.

C’était la première fois que les armes du grand roi étaient humiliées. Xerxès ne pouvait hériter du trône sans hériter en même temps des projets de vengeance de Darius. La plus vaste expédition qu’ait jamais conçue la puissance humaine se prépare. Ce jeune roi, si injustement décrié dans l’histoire, « qui fait tout par lui-même et voit tout par ses yeux, » Xerxès, en un mot, ne veut se mettre en marche qu’après avoir employé quatre années entières à disposer d’immenses dépôts de vivres sur le parcours qu’il se propose de suivre. Tout est prévu… excepté la malveillance du sort. Ce sont là, remarquons-le bien, les affaires des augures ; les rois auraient tort de s’en mêler. Leur rôle est de mériter la victoire ; ne leur en demandons pas davantage. Xerxès pousse devant lui 1,700,000 hommes et les fait côtoyer par 1,200 trières. Depuis que nous en sommes revenus, par une pente insensible, aux temps où l’humanité n’avait pas d’armées permanentes, mais où les peuples, prêts à se dévorer, se tenaient constamment debout, les chiffres mentionnés par Hérodote ne nous semblent plus invraisemblables. Avec de bien moindres territoires, l’Allemagne et la France, si jamais la fantaisie leur prenait de mettre toutes leurs forces sur pied, ne resteraient certaineir.ent pas au-dessous du roi des Perses. Nous n’avons cependant dénombré encore que l’année qui traverse le continent asiatique et la flotte de guerre qui l’accompagne. Outre cette armée et cette flotte, il faut compter aussi le convoi. Navires non pontés à trente et à cinquante rames, chaloupes, barques destinées à recevoir les chevaux, il n’y a pas là moins de 3,000 embarcations. Chacun de ces bâtimens porte en moyenne près de 80 hommes. L’équipage des trières est de 230. Qu’il soit grec, ionien, carien ou phénicien, qu’il vienne de Cilicie ou d’Égypte, le vaisseau de combat a toujours cet effectif. Cela seul suffit à nous indiquer ses dimensions ; la facilité avec laquelle on le tire à terre, l’éperon qui, d’un seul coup, le crève et le fait sombrer, nous apprennent également de quels fragiles matériaux on l’a construit. La trière n’est pas un de ces navires aux côtes de fer, au cœur de chêne ou de teck, que nous avons aujourd’hui sous les yeux ; c’est un coffre de bois blanc qui doit son nom au chiffre de ses rameurs. On y vogue à trois ; le pentécontore est un unirème. Ne nous étonnons pas si les flancs de la trière s’entr’ouvrent quand survient inopinément la tempête. Pareil malheur a plus d’une fois excité le