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retour, mais elles trouvent moyen de se manifester dans la langue même du vainqueur. C’était pour eux une langue étrangère ; elles en font une langue nationale en l’adaptant à leurs idées, en lui donnant leur tour d’esprit. C’est ainsi qu’on voit bientôt, dans trois pays différens, trois littératures diverses se former, qui usent toutes du latin, mais qui le parlent à leur manière : celle de l’Afrique, avec Fronton et Apulée, celle de l’Espagne, que représentent pour nous les Sénèque, enfin celle de la Gaule. — Des trois, cette dernière est la moins connue ; c’est celle qui nous paraît, dans le peu de débris qui en restent, avoir le caractère le moins tranché. Il y eut pourtant alors une littérature gauloise ; peut-être avait-elle peu de relief, mais nous n’en devons pas être surpris : la littérature de ce pays cherchera toujours à être égale et unie plutôt qu’originale. La Gaule, qui aimait le bien dire, pratiqua avec passion la rhétorique ; les écoles s’y multiplièrent très vite. Dès l’époque de Tibère, les jeunes gens affluaient à Autun des pays voisins pour étudier. Bientôt Reims, Bordeaux, Toulouse, Trêves, possédèrent des universités fameuses. Même dans les villes de commerce on aimait les lettres et on les cultivait. Pline le Jeune était charmé et fort surpris d’apprendre qu’il y avait des libraires à Lyon et qu’ils vendaient ses ouvrages. Les grands orateurs que produisit alors la Gaule, Votienus Montanus de Narbonne, Domitius Afer de Nîmes, Julius Africanus de Saintes, se faisaient déjà remarquer par ces qualités tempérées qui ont toujours eu tant de succès chez nous. La rhétorique espagnole aime l’emphase et la déclamation, les orateurs gaulois étaient plus modérés, plus simples. Domitius Afer surtout se rendit célèbre par son goût délicat. Ce classique éclairé, qui ramena l’éloquence latine à l’imitation de Cicéron, était en même temps un esprit fin, délié, agréable, plein de ressources, et qui savait se tirer par un bon mot des situations les plus embarrassantes. — Ce sont déjà des qualités françaises.

Avec le christianisme, les différences entre tous ces pays se marquent davantage. Le mouvement irrésistible qui attirait vers la religion nouvelle sembla exciter et exalter l’originalité de chaque peuple. Chacun d’eux prit cette religion par le côté qui convenait le mieux à son caractère et apporta les faiblesses ou les ardeurs de son tempérament dans sa manière de la pratiquer. La dévotion de l’Africain ou de l’Espagnol n’est pas tout à fait celle du Gaulois ; et quand naquit dans ces divers pays une littérature ecclésiastique, chacun eut la sienne, différente des autres, et où se retrouvent les qualités et les défauts de la race qui l’habitait.

La Gaule, au IVe siècle, possédait un saint national et populaire, le plus grand et le plus sympathique de ceux qu’elle ait jamais aimés et vénérés, saint Martin. C’était un Pannonien d’origine,