Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/547

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Homère les marins du Vengeur disparaissant lentement sous les flots sans vouloir amener leur pavillon. Les sujets de Xerxès non plus ne demandaient pas grâce ; « quand le sort les plongeait dans l’abîme, » leurs vaisseaux, non moins héroïques que le Vengeur, se laissaient dévorer si fièrement par le gouffre qu’ils avaient l’air « de le conquérir. » Un vaisseau de Samothrace fit mieux encore. La proue d’un navire grec l’avait ouvert ; le tillac s’enfonçait peu à peu sous les pieds de l’équipage : du pont, que déjà le flot couvre, les hardis insulaires ne lancent pas avec moins d’adresse et d’ardeur leurs javelots. La trière de Samothrace, vous la chercheriez en vain ; elle repose au fond de la baie de Salamine ; mais son équipage n’a fait que changer de vaisseau, il court à de nouveaux combats sur le navire grec, car ce navire, où déjà l’on chantait victoire, il vient de s’en rendre maître.

Gloire aux vaincus ! Il peut y avoir de la gloire pour les deux partis dans toute affaire sérieuse ; l’important, c’est d’avoir les poètes de son côté. Malheur aux lions qui ne savent pas peindre ! Il est vrai que les lions la plupart du temps dans la défaite se déchirent. La fortune ne s’est pas encore bien nettement prononcée que déjà les Phéniciens accusent les Ioniens de n’avoir pas fait leur devoir. Accuser ! quand il faudrait combattre. Xerxès récompense comme ils le méritent ces trop zélés délateurs ; il leur fait sur-le-champ trancher la tête. Le cœur du jeune roi commence à déborder d’amertume. Il voit clairement poindre peu à peu la déroute. Les armes ne sont pas égales dans ce combat qui se livre généralement corps à corps. La lance à Salamine aura raison de la flèche, comme à Lépante l’arquebuse espagnole. Rien ne prévaut contre la supériorité bien établie de l’armement.

Les Grecs ne sont pas seulement mieux armés ; ils ont aussi l’avantage de la position. Lorsque leurs vaisseaux sont coulés, ils peuvent gagner l’île de Salamine à la nage. Les Perses n’ont pas la même ressource ; l’îlot de Psytalie, leur base d’opérations, est trop éloigné. D’ailleurs, ces barbares, au dire d’Hérodote, pour la plupart, ne savent pas nager. Dans les grandes luttes que nous réserve peut-être l’avenir, la pratique de la natation ne sera pas moins nécessaire qu’elle ne l’était dans les combats de cet âge héroïque. Il fallait, au temps de Richelieu, se pourvoir, suivant les ordres du grand cardinal, de bandages et de fers rougis au feu. Les médecins de nos jours se hâtent d’étaler aux premiers sons du tambour, dans le poste où ils courent attendre les blessés, leurs scies et leurs couteaux : n’oublions pas les ceintures de sauvetage. Le Re d’Italia, au combat de Lissa, ne mit que quelques minutes à sombrer. L’équipage tout entier avait abandonné les batteries. L’eau le