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nuances indécises, qui, pour être des tours de force de teinturier, n’en demeurent pas moins des scandales optiques. L’œil d’une Parisienne ne goûtera jamais ces étoffes éclatantes qu’à la condition de les voir sur les épaules d’une mortelle ennemie.

Si au lieu d’être dirigée, dans une vue mercantile, par quelques négocians des factoreries européennes de Canton et de Shanghaï, l’exposition chinoise l’eût été par le gouvernement, nous aurions eu sans doute à parcourir toutes les étapes de la plus ancienne civilisation du globe. Nous aurions pu, conjointement avec les œuvres, passer en revue les procédés auxquels elles sont dues, les matières premières de tous les règnes, les métiers, les mécanismes parfois savans, les instrumens agricoles, en un mot tout le matériel d’exploitation de ce grand pays. Mais tout cela n’eût pas trouvé d’acheteurs, et à part une salle où les douanes des divers ports ont entassé pêle-mêle des modèles de bateaux, de chaises à porteurs, des alimens, de la serrurerie, des vêtemens, de la soie grège, des insectes, un peu de thé et de papier, quelques minerais, il faut se passer de renseignemens. Rien n’indique au visiteur qu’il est dans un pays dont le commerce extérieur se chiffre par 1,100 millions de francs.


II

Sans verser aussi complètement que sa voisine dans l’imitation européenne, l’exposition du Japon est loin d’offrir un tableau des mœurs actuelles, et nous y avons rencontré çà et là quelques objets d’un usage courant. Quant aux articles de luxe, qui tiennent tant de place, on peut affirmer sans crainte qu’aucun Japonais, riche ou pauvre, ne les marchanderait aujourd’hui. Non que les belles laques et les beaux bronzes soient dédaignés ; il s’en faut bien, et c’est même une qualité remarquable de la race que la sûreté du goût en pareille matière, chez les petites gens comme chez les grands. Mais ils n’estiment que les vieux meubles, sortis des mains d’anciens artistes, et dont la plupart, vendus dans un jour de gêne par les familles qui les avaient précieusement gardés jusque-là, sont venus depuis longtemps enrichir nos collections particulières. Ils n’ont que mépris pour les nouveaux, dont la fabrication cesserait immédiatement, s’il ne se trouvait des étrangers pour les acheter. C’est donc une marchandise d’exportation qui remplit les salles du Champ de Mars, soit que l’industrie moderne se borne à la reproduction moins achevée, mais encore exacte, des vieux chefs-d’œuvre, soit qu’elle essaie de s’adapter aux mœurs occidentales.