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savent, tout en les répétant à satiété, leur donner toujours le charme de l’imprévu. On le verra surtout par leurs petits plateaux incrustés d’animaux chimériques en écaille, exactement reproduits des anciens. On y retrouve constamment certaines associations symboliques de plantes et d’animaux : le phénix et le paulownia figurent la rectitude ; la grue et le sapin, la longévité ; le lièvre et le jonc rappellent qu’un lièvre est censé balayer la lune avec un faisceau de joncs ; l’hirondelle et le saule s’agitent ensemble au souffle de la brise ; le faisan au plumage doré et le cerisier aux fleurs stériles sont réunis comme deux jolies inutilités ; le rossignol a pour compagnon le prunier, consacré aux poètes comme le laurier chez nous ; diverses allusions expliquent encore le rapprochement du coucou avec la lune, du renard et du chrysanthème, de la chèvre et de l’arbre à papier, du moineau et du bambou, etc.

Fleurs, papillons, scarabées, bouquets fantaisistes fidèlement reproduits avec un sentiment exquis de la nature, et semés avec une spirituelle négligence, donnent à leurs simples travaux de marqueterie un accent personnel. Le goût, en matière d’ornementation, est tellement inné dans la race qu’il n’est pas l’apanage exclusif des artistes. Donnez, par exemple, des fleurs à une jeune fille japonaise, elle se gardera bien d’en faire un bouquet compacte et régulier comme les corbeilles de nos parterres ; elle les arrangera en gerbe inégale d’une grâce capricieuse. Tandis que nous revenons sans cesse malgré nous à la géométrie, ils s’en éloignent constamment, par instinct comme par tradition. A la faveur de cette étourderie calculée, leurs sujets les plus rebattus ont l’air d’heureuses saillies. À ces qualités d’ornemanistes il faut ajouter une habileté de touche supérieure. Leurs artisans acquièrent très vite et savaient jadis conserver longtemps ce qu’en style d’atelier on nomme « la patte, » ce faire délicat, si prisé aujourd’hui chez nous qu’il est pris quelquefois pour le talent.

Tous ces dons se manifestent encore dans les œuvres étalées au Champ de Mars ; mais, avec quelque attention, on en constate le déclin ou la transformation laborieuse. Les artistes d’Osaka, de Kioto, d’Yédo, en travaillant pour l’exposition, ont voulu, sinon renouveler leur manière, du moins élargir leur cadre, étendre la sphère de leur art et s’essayer sur des sujets appropriés à nos mœurs continentales. Ils ont donc fabriqué à notre intention de grands buffets à incrustations et moulures en relief, de hauts paravens, des tableaux, toutes choses qui dépassent les dimensions habituelles de leurs œuvres, voire même les dimensions normales de la marqueterie fine, et sortent tout à fait des traditions courantes. Il a donc fallu du même coup chercher de nouveaux motifs de décor, ou grandir les anciens à des proportions inconnues. Sans doute, on