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demandons des leçons aux artistes asiatiques dans le domaine de la fantaisie pure ; ils savent en ce genre, sans tomber dans l’enflure, s’abandonner avec une sorte de pétulance au libre essor d’une imagination ingénieuse. Mais les hautes conceptions du grand art dépassent leur génie. A part quelques types hiératiques transmis avec la liturgie sacrée par l’apostolat bouddhiste, on ne trouve chez les Japonais aucune création d’ordre supérieur révélant une aspiration vers la beauté idéale. La figure humaine n’est pour eux qu’un masque expressif, sur lequel le peintre ou le sculpteur écrivent en traits connus le sentiment de leur personnage. Qu’il soit grimaçant ou compassé, laid ou grotesque, peu importe ; son visage, son corps tout entier ne sont que les signes représentatifs d’une idée comique ou tragique. Dans les scènes sérieuses comme dans les petites scènes burlesques, la forme humaine est malmenée avec un sans-gêne absolu ; on n’en respecte pas l’auguste contour ; elle n’a que la valeur d’un caractère idéographique. Ces patiens dessinateurs, si exacts parfois, ne savent ni faire un bras, ni l’attacher à son épaule, ni tenter un portrait. Leurs bonshommes ricanans ou frémissans de colère n’ont une physionomie si éloquente qu’au mépris évident de la vérité académique. Aussi ne peuvent-ils traiter de cette façon que des sujets de petite dimension ; leur tact les avertit qu’une pochade démesurée serait décidément insipide, et qu’il faut en ce genre se renfermer dans la limite où l’animation de la matière en peut racheter la difformité.

Ce n’est pas seulement le corps humain que les Japonais pas plus que les Chinois ne savent représenter en grand. Habitués à vivre pour ainsi dire à ras de terre, n’ayant ni sièges, ni tables, ils ne se servent que de meubles très bas, et sont déroutés quand ils en veulent faire de grands. Ils perdent le sentiment des proportions qui charme dans leurs cabinets hauts d’un mètre environ, la plus grosse pièce du mobilier japonais. Ils ne peuvent aller au-delà sans être mal à l’aise. La symétrie nécessaire aux vastes machines les déconcerte, et, quant à leur mignardise, ravissante dans les petits monstres, elle rebute dans les grands. Ils ont fait fausse route lorsque, en vue de l’exposition, ils ont fabriqué de grosses pièces sur lesquelles il a fallu étaler de gros ornemens. Ne pouvant être beau, il faut être exquis, ce qui n’est pas généralement donné aux colosses.

Ici se vérifie le parallèle souvent établi entre la fécondité d’invention plastique des temps primitifs et la stérilité des peuples raffinés : les Japonais d’autrefois avaient une prodigieuse quantité de vases de toute sorte ; tous ont leur caractère, les uns sveltes, les autres courtauds et ramassés. Une simple bouteille à saki en porcelaine bleue avait sa physionomie, ainsi que la petite coupe