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indique les sources d’une richesse qui s’accroît sans cesse au contact de l’Europe, tandis que celle de son faible concurrent diminue à vue d’œil. Nous ne franchissons pas la grande muraille ; nous n’assistons pas à la vie d’une immense population de travailleurs acharnés. Le Japon a de son côté remporté sur la Chine une facile victoire. Il n’aurait tenu qu’à lui de la rendre plus complète, en nous mettant dans le secret de sa métamorphose économique et sociale. Son abstention laisse supposer que les expériences tentées ne lui ont pas paru jusqu’à ce jour donner des résultats dignes d’être proclamés.

Quoi qu’il en soit, l’enquête sur ces pays reste ouverte. L’exposition de 1878 ne nous en apprend pas à leur sujet plus que les précédentes. Le commerçant qui songe à y échanger ses produits, le banquier ou le bailleur de fonds sollicité d’y risquer ses capitaux, l’homme d’état préoccupé des lois générales d’évolutions des peuples, l’homme du monde simplement curieux de s’instruire et de contrôler par ses yeux les notions acquises, n’en sortent pas mieux informés qu’en entrant. La présence des Chinois et des Japonais à l’exposition n’en exercera pas moins une action salutaire sur les relations internationales. Si peu qu’il lui soit révélé de la vie intellectuelle et industrielle de l’extrême Orient, le public s’habitue à le considérer à un point de vue positif, en le voyant entrer dans le domaine de l’expérience. L’imagination jouera désormais un rôle moins considérable dans tout ce qui le concerne. C’est à grand’peine que notre esprit français surtout conçoit sous des traits simples une nation inconnue ; l’invraisemblable est ce qu’il présume d’abord. On était un peu trop enclin chez nous à reléguer parmi les abstractions, ou à regarder comme des peuples enfans ou à demi sauvages, des nations plus anciennes, non moins policées à leur manière et plus nombreuses que l’Europe entière. Bien des gens se sont montrés naïvement surpris de leur découvrir des qualités, des talens, une intelligence vive, comme s’il se fût agi de races déshéritées, et par suite à s’extasier devant des œuvres qui paraîtraient ordinaires sorties d’autres mains. Après avoir traité, depuis Voltaire, les Chinois et les Japonais comme une agréable matière à turlupinades ou un lieu commun de rhétorique, nous sommes tombés par une réaction naturelle dans une sorte d’engoûment irréfléchi. Il est temps de sortir des chimères pour revenir à la réalité, et d’apprécier à leur juste valeur, sans parti pris de badinage ni d’admiration, ces peuples que la vapeur met à nos portes, et qui tiennent une si large place au soleil.


GEORGE BOUSQUET.