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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

étrangers, prennent place dans ce panthéon grotesque qu’elle expose au rire des Athéniens.

« La Discorde, s’étant unie au vieux Cronos, enfanta un très grand tyran, que les dieux appellent Céphalègérète[1]… Au même dieu la Luxure donne pour fille Héra Aspasie, l’impudente courtisane. » C’est ainsi que Cratinus, dans une de ses comédies, les Chirons, se permettait de travestir le divin ménage de Jupiter et de Junon. Platon le comique intitulait une de ses pièces Jupiter maltraité, et l’on suppose qu’il s’agissait de quelque gaucherie du maître de l’Olympe au jeu du cottabe, l’amusement favori des banquets athéniens, et de quelque mésaventure qui s’ensuivait pour lui. Hermippe avait mis en comédie la naissance de Minerve, et il est présumable que la hache de Vulcain y jouait son rôle comme plus tard dans le dialogue de Lucien où elle délivre Jupiter de son mal de tête. Mais à quoi bon recourir aux conjectures ? Aristophane, tout incomplet qu’il nous est parvenu, suffirait amplement à nous pourvoir d’exemples. Voici, dans les Grenouilles, Hercule avec sa voracité traditionnelle : les cabaretières des enfers se plaignent qu’il ait vidé leurs garde-manger, et Proserpine, qui a conservé de lui un tendre souvenir, s’empresse, à la nouvelle de son retour, de faire rôtir un bœuf entier. Voici, dans Plutus, Mercure qui, après avoir inutilement fait la grosse voix, puis tenté d’apitoyer l’esclave Carion sur les souffrances de son estomac, trouve à grand’peine, dans ses nombreuses attributions dorénavant sans objet, un titre aux fonctions d’aide de cuisine.

La pièce des Oiseaux réunit sous le choc des mêmes agressions toutes les catégories de dieux qu’on pourrait être tenté d’établir. C’est l’Olympe tout entier qui souffre de la famine, depuis que la construction de la ville aérienne le prive de la fumée des sacrifices. Les dieux barbares, les plus affamés, le remplissent de leurs cris discordans et menacent Jupiter d’une révolte. Il faut donc qu’il se résigne à entrer en composition avec les oiseaux, les nouveaux maîtres du monde, et à leur envoyer des ambassadeurs. Ressource médiocre, d’une efficacité plus que douteuse : le chef de l’ambassade est, il est vrai, Neptune, un des grands dieux, dévoué aux intérêts de l’Olympe et bien au fait de ses traditions ; mais la tyrannie de l’esprit démocratique lui adjoint de tristes compagnons, représentans des divinités barbares et d’ordre inférieur. Il a beau donner des leçons de tenue au dieu Triballe, sorte de brute sauvage, et faire

  1. Parodie de Néphélègérète, épithète de Jupiter. Au lieu d’assembleur de nuages, le poète, dans sa cosmogonie comique, dit assembleur de têtes, la grosseur de la tête de Périclès réunissant, pour ainsi dire, plusieurs têtes en une seule. L’excuse de ce commentaire, c’est qu’il est indispensable.