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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

patriotique qui se faisait jour dans le pêle-mêle apparent de fantaisies burlesques dont se compose la pièce politique des Chevaliers. Ce chant faisait partie de la parabase, morceau essentiel de l’ancienne comédie et souvenir expressif de sa première origine ; il y était donc comme à une place d’honneur, et y conservait la tradition des expressions sérieuses de piété qui sans doute, ne fût-ce qu’au moment du sacrifice, s’étaient mêlées primitivement aux réjouissances par lesquelles on fêtait les présens de Bacchus.

Neptune, d’après une légende importante que Phidias venait d’inscrire sur un fronton du Parthénon, avait disputé à Minerve le patronage d’Athènes. Une invocation adressée à Neptune comme dieu protecteur appelait naturellement une invocation à Minerve ; et, s’il recevait ici les premiers hommages du chœur, composé de chevaliers, c’était uniquement à cause du sujet de la pièce et des circonstances politiques. Il y a donc aussi dans cette parabase une prière à la déesse, et elle est conçue dans le même esprit, sincère et vraiment religieux, quoique le chœur la rapproche du ton de la comédie, en unissant à la pensée des victoires qu’il souhaite à la patrie des vœux pour sa propre victoire sur les rivaux du poète au concours des Lénéennes : « Ô Pallas, gardienne de la cité, ô toi qui règnes sur la contrée la plus sainte, la première de toute par sa gloire guerrière, par ses poètes et par sa puissance, viens parmi nous, amenant avec toi la victoire, notre alliée dans les guerres et dans les combats, la compagne fidèle de notre chœur… »

On ne peut nier que l’auteur de ces strophes ait tenu à rendre hommage aux divinités de sa patrie ; nous avons une preuve encore plus décisive de ces dispositions d’Aristophane. Il y a une de ses comédies qui est tout entière une attaque contre l’impiété, les Nuées. Quels sont les impies auxquels en veut ce défenseur des intérêts moraux et religieux de la cité ? Les sophistes, personnifiés dans Socrate. Ne nous inquiétons pas de cette personnification ni de ce qu’elle peut avoir de faux et d’injuste, et bornons-nous à dégager la pensée d’Aristophane. Les sophistes et leurs disciples, Euripide dans le nombre, ne se contentent pas des croyances et des cultes populaires ; ils expliquent par la raison les phénomènes naturels que la foi attribue à l’action merveilleuse de la divinité, et par là ils diminuent ou suppriment les dieux. Leur crime, c’est l’abus orgueilleux du raisonnement, qui les conduit en religion à l’athéisme, en morale au mépris de la justice et à l’oubli des vertus civiques. Voilà quelle est la thèse d’Aristophane, très conforme, on le voit, à l’esprit de la constitution athénienne et aux opinions vulgaires sur l’impiété, capable par conséquent de lui concilier la faveur du public ; mais pour cela il fallait qu’elle fût bien comprise.