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personnes les plus hostiles à l’esprit scientifique sont obligées d’apprendre les mathématiques, la physique, la chimie. « De toutes les manières, la souveraineté de la science s’impose même à ses ennemis. » De toutes les manières aussi, ajouterons-nous, et en vertu des mêmes causes, la nécessité de la science s’impose à tous et la science même pénètre chez tous. La science a donc une puissance invincible d’expansion et de diffusion. La vérité, comme la lumière, est essentiellement démocratique : elle jette ses rayons en tous sens, va droit aux obstacles et, si elle ne peut les atteindre directement, elle les atteint par réflexion, si elle ne peut les pénétrer d’outre en outre, du moins elle les éclaire au dehors et les échauffe au dedans. Quand tout s’illumine ainsi autour de vous, on cherche en vain à se cacher dans l’obscurité, il est impossible de ne pas recevoir quelque lueur détournée de l’universelle clarté. Plus la science s’accroît, plus s’accroît aussi le nombre d’hommes qui y participent ; on ne peut donc supposer une oligarchie l’accaparant pour elle seule et soufflant à l’improviste sur l’esprit de l’humanité comme sur un flambeau. L’égalité n’a rien à craindre de la science, ni la science de l’égalité.


IV

Toutes les oppositions que nous avons remarquées entre l’école démocratique et l’école aristocratique proviennent selon nous d’une opposition fondamentale, celle de leurs points de vue sur l’univers et sur la société ; ces deux écoles se représentent d’une façon toute contraire et l’idéal et la nature et l’action de l’idéal sur la nature. M. Renan voudrait réserver l’honneur de l’idéalisme pour les doctrines aristocratiques, et il qualifie la doctrine démocratique sur l’égalité de a matérialisme en politique. » D’après les démocrates en effet, dit-il, la société n’a qu’un seul but, « c’est que les individus qui la composent jouissent de la plus grande somme possible de bien-être, sans souci de la destinée idéale de l’humanité. Que parle-t-on d’élever, d’ennoblir la conscience humaine ? Il s’agit seulement de contenter le grand nombre, d’assurer à tous une sorte de bonheur vulgaire[1]. » À ces traits, qui seraient tout au plus fidèles pour caractériser l’utilitarisme anglais, nous ne pouvons reconnaître la doctrine française sur le droit et l’égalité des droits. Est-ce sur le bien-être matériel ou sur le respect de la liberté et de l’intelligence que la notion du droit repose ? Croire que

  1. La Réforme intellectuelle, p. 241. — Caliban, p. 70 : « La révolution, c’est le réalisme… Tout ce qui est idéal, non substantiel, n’existe pas pour le peuple… Le peuple est positiviste. » Nous lui ferions plutôt le reproche contraire, de s’être trop sacrifié à des idées, parfois à des chimères.