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Quand on a cherché à lui plaire, on en est payé au jour du grand jugement. Seule, l’attente de ce jour terrible peut le faire trembler. « A la pensée de la venue du Christ, mon cœur croyant frémit en ses fibres ébranlées. Je crains que mon âme, embarrassée des soucis du corps, alourdie par le poids des intérêts mondains, si tout d’un coup elle entendait dans le ciel entr’ouvert retentir la terrible trompette, ne fût pas capable de s’élever sur des ailes légères au-devant de son roi… Quel désespoir si, pendant que je me livre aux espérances de ce monde, le Christ apparaissait tout d’un coup dans la splendeur des deux, si, confus de cette lumière subite, j’étais contraint de chercher les ombres de la nuit pour me cacher ! » Il s’est donc décidé sans retour ; il abandonne les soucis de la terre, il veut essayer de mériter, par une vie austère et retirée, les récompenses éternelles. « Si cette résolution te plaît, félicite ton ami de la richesse de ses espérances ; si tu la condamnes, il me suffit qu’elle soit approuvée par le Christ. »

Ces mots mettaient fin à la discussion ; Ausone dut renoncer pour jamais, en les lisant, à l’espoir de rendre son ami à la vie mondaine et à la rhétorique.


III

Saint Paulin, en quittant le monde, ne renonça pas à la littérature : au contraire, sa dévotion augmenta son ardeur d’écrire. Il écrivait jusque-là par plaisir, il le fit par devoir, pour remercier Dieu et les saints de leurs bienfaits, pour ranimer les tièdes, affermir les irrésolus et donner de bons conseils à ceux qui en avaient besoin. A peu près toutes les œuvres, en vers et en prose, qu’on a de lui appartiennent à la seconde moitié de sa vie.

De ses ouvrages en prose, nous n’avons guère conservé que ses lettres. Elles sont assurément curieuses, mais on risquerait d’être très désenchanté si l’on y cherchait l’intérêt particulier qu’on trouve d’ordinaire dans les correspondances intimes. Les plus agréables pour nous sont celles où l’auteur parle de lui-même sans apprêts et nous fait connaître les incidens de sa vie intérieure ; mais le christianisme n’aimait pas ces étalages d’indiscrétions : parler trop de soi aurait paru à ces gens graves un bavardage inutile ou une vanité coupable. Ils ne s’écrivaient pas pour se communiquer leurs impressions, mais pour échanger leurs idées. Les docteurs célèbres étaient sans cesse consultés sur des questions douteuses, et leurs réponses, qui formaient souvent des traités véritables, copiées et reproduites, passaient de main en main et se répandaient partout. Les grands évêques du XVIIe siècle, qui nous ont laissé des lettres