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de direction, s’occupent surtout de donner des préceptes pour la conduite de la vie ; dans ce temps, où l’on voulait être à la fois pieux et mondain, la difficulté consistait à concilier les devoirs du monde avec les pratiques de la dévotion. Au IVe siècle, on avait d’autres pensées. La foi était ardente alors, mais inquiète et curieuse. Les solutions données par le christianisme des problèmes que les philosophes n’avaient pas résolus, en rassurant les âmes, ne les avaient pas tout à fait contentées. Une fois éveillée sur ces questions délicates, la curiosité devient insatiable. Il semblait, par exemple, que l’église avait mis fin aux doutes qui inquiétaient le monde ancien au sujet de la vie future en proclamant que l’âme et le corps ressusciteront ensemble et ne cesseront plus d’exister. Cette affirmation causa d’abord un grand soulagement à tous ceux que tourmentait l’incertitude de l’avenir ; mais ils voulurent bientôt en savoir davantage. L’inconnu et l’obscurité attirent. Une fois qu’on s’est jeté dans ces ténèbres et qu’on y séjourne, l’esprit trouve partout des sujets d’étonnement et d’inquiétude. L’âme et le corps, nous dit-on, sont distincts et unis à la fois ; mais comment se fait cette union d’élémens contraires ? D’où viennent-ils tous deux et de quelle façon précise s’opère leur séparation ? L’église affirme et l’on croit fermement qu’ils ressuscitent ensemble, mais quel sera l’office de l’un et de l’autre après la résurrection ? A quoi peut servir le corps dans ce séjour tout spirituel ? Est-ce avec lui ou avec l’esprit qu’on verra Dieu ? C’est ainsi que les questions se succèdent de plus en plus subtiles et obscures, et qu’à chaque pas qu’on fait le champ des incertitudes s’agrandit. Les évêques, les docteurs, consultés avec angoisse, trouvent sans doute qu’il y a beaucoup « d’obstination querelleuse et de scrupules superstitieux » dans ces demandes qu’on leur adresse ; ils finissent pourtant par répondre, et ce sont les réponses à ces questions de théologie ténébreuse qui remplissent une grande partie des lettres de saint Jérôme et de saint Augustin.

Ceux qui les interrogeaient sur ces problèmes difficiles appartenaient à toutes les classes de la société : partout alors et dans tous les rangs régnait la même ardeur de croire, la même passion de savoir ; ce sont tantôt des hommes du monde, des professeurs, des politiques engagés dans les plus grandes affaires, tantôt des soldats, des gens obscurs et même des barbares. Saint Jérôme fut un jour consulté par deux Gètes sur quelques difficultés des livres saints. « Qui pouvait croire, s’écriait-il dans sa surprise, qu’on viendrait de ce pays sauvage chercher la vérité dans les livres des Hébreux ! Ainsi ces mains qui se sont endurcies à manier l’épée, ces doigts qui ne semblaient propres qu’à tendre l’arc et à lancer les flèches,