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territoire de la cité céleste. » Dans le célèbre cantique que chantent les filles de Sion « sur les bords des fleuves de Babylone, » admirable poésie qu’ont répétée les malheureux et les proscrits de tous les temps, quand il arrive au cri de colère de la fin : « Fille de Babylone, heureux qui te rendra la pareille des maux que tu nous as fait souffrir ; heureux celui qui saisira les petits enfans et leur écrasera la tête contre les pierres ! » ce doux poète ne peut se résoudre à traduire ce passage cruel ; son cœur en est révolté, il s’en tire, comme font souvent les théologiens dans l’embarras, par l’allégorie. Les enfans de Babylone, nous dit-il, sont les péchés ; il faut les saisir quand ils sont encore jeunes, c’est-à-dire quand ils n’ont pas eu le temps de prendre racine dans le cœur, et les écraser contre la pierre qui est Jésus-Christ. — Voilà une exécution qui ne coûtera de larmes à personne.

Saint Paulin réussit mieux dans les pièces d’un caractère plus doux, où il chante les incidens de la vie privée. Il a été l’un des premiers, parmi les chrétiens, à cultiver cette poésie intime qui est devenue si importante chez les modernes. On trouve, dans le recueil de ses œuvres, deux petits poèmes qui, sans être irréprochables, contiennent de très bonnes parties et qui peuvent donner lieu à des comparaisons intéressantes. L’un d’eux est un épithalame. Que de souvenirs païens ce mot ne rappelle-t-il pas ? Quand on songe à ces fêtes bruyantes et licencieuses qui accompagnaient les noces à Rome, aux plaisanteries obscènes de la jeunesse, à la hardiesse brutale des vers fescennins, on se dit qu’il fallait une certaine audace pour entreprendre de purifier l’épithalame et de le rendre chrétien. Ce qui ajoute à la difficulté, c’est que la noce que va chanter saint Paulin n’est point une noce ordinaire ; nous sommes vraiment ici dans le sanctuaire. C’est un clerc, fils de l’évêque de Capoue, qui épouse la fille d’un autre évêque. Paulin et Thérasia assistent à la fête, avec toute une assemblée de moines et de prêtres. On devine que l’épithalame prononcé en cette pieuse compagnie ne ressemblera pas à ceux qu’à la même époque le poète Claudien composait pour les princes et les grands seigneurs ; en voici le début, qui est très gracieux : « Deux âmes qui se conviennent s’associent dans un chaste amour, purs tous deux, tous deux enfans du Christ. Christ, attelle à ton char ces deux colombes qui se ressemblent et place ton joug léger sur ces deux têtes dociles. » Aussitôt après, il marque la différence des fêtes nouvelles avec les anciennes : « Loin de cet hymen, dit-il, les vains amusemens du vulgaire ; éloignez-vous d’ici, Junon, Vénus, Cupidon, noms de débauche et de perdition ! .. que la foule ne se précipite pas en désordre sur les places richement décorées ; qu’on se garde de répandre sur le chemin des branches d’arbres, de couvrir de feuillage le seuil de la porte ; que personne n’embaume