Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/822

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

place à ce que sous le régime censitaire nous appelions les capacités. Pour cela il suffirait du reste d’introduire un nouvel impôt, dont les grandes villes russes auraient singulièrement besoin, il suffirait de l’adoption d’une taxe locative[1]. La loi pourrait ainsi être corrigée par la fiscalité. Peut-être aussi l’équité commandera-t-elle un jour de se souvenir qu’en Russie comme ailleurs l’impôt direct est loin de fournir la totalité des ressources municipales, et que dans les cités soumises à des taxes de consommation, tout habitant est contribuable et personnellement intéressé à la juste répartition des charges[2]. On ne saurait désirer cependant que le droit de suffrage soit prématurément étendu aux plus basses couches de la population urbaine. Ce n’est point que les villes russes recèlent un prolétariat à l’esprit turbulent, révolutionnaire, ennemi de l’ordre et de la société. En dépit de l’active propagande de quelques jeunes gens des deux sexes, il n’y a encore dans le bas peuple russe rien de redoutable de ce côté. Les défauts de la plèbe urbaine sont tout autres : l’ignorance, le manque de culture, l’inintelligence même des premières conditions de la civilisation la rendent de longtemps incapable de prendre une part efficace ou même un vif intérêt à l’administration municipale. Déjà sous le régime censitaire cette indifférence se trahit d’une manière trop visible dans le collège des petits contribuables dont si peu fréquentent les urnes. Le menu peuple des villes n’a pas comme le moujik des campagnes l’habitude de traiter lui-même les affaires communes. Sous ce rapport, il n’y a aucune assimilation possible entre le citadin des villes et le paysan du mir. La sphère étroite de la commune rurale permet à l’un ce que le vaste domaine de la municipalité urbaine interdit à l’autre, alors même que tous deux ne seraient qu’un seul et même homme, ainsi qu’il arrive souvent en Russie. Il ne faut point oublier en effet qu’un bon nombre des habitans des villes russes, n’étant que des paysans en résidence à la ville, beaucoup des citadins auxquels la loi municipale refuse le droit de suffrage gardent un droit de vote en même temps qu’un coin de terre dans la commune rurale où le plus souvent ils ont laissé leur famille.


III

L’assemblée municipale porte en Russie l’antique nom de douma (gorodskaia douma), jadis donné au plus haut conseil de l’état

  1. A Saint-Pétersbourg, il a déjà été question d’une taxe municipale sur les loyers ; mais ce projet a jusqu’ici été repoussé.
  2. Sur une population de plus de 600,000 habitans, Saint-Pétersbourg ne comptait guère en 1877 que 20,000 électeurs municipaux. (Golos, 12 février 1877.)