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la clarté, de la fraîcheur dans ce tableau judicieusement composé ; mais ce qu’il faut admirer surtout, c’est la profonde conviction du professeur. Il a l’air d’un initiateur, d’un pontife. Il a une foi robuste, inébranlable, dans la beauté de sa science ; il sait que la gymnastique allemande a gagné les batailles de Sadova et de Sedan, et qu’elle est l’outil choisi par Dieu pour régénérer l’espèce humaine. Ce pédant à la tête osseuse semble porter le monde à bras tendus. Hegel méprisait les peintures où l’on ne voit que lui et elle ; il estimait que le devoir des peintres est de peindre des types. L’excellent tableau de M. Piltz porte bien la marque de l’Allemagne en l’an de grâce 1878.

Le point lumineux, le bijou, la joie de la section allemande est le tableau de M. Jozef Brandt, intitulé : Cosaques de l’Ukraine au XVIIe siècle entrant en campagne. M. Brandt est un Polonais qui a fait ses études à Munich ; mais son talent nous paraît être plus slave qu’allemand. Une troupe de cosaques, armés de longues lances, coiffés de bonnets fourrés et montés sur de petits chevaux galopans, se met en route pour aller batailler quelque part ; ils sont précédés de leurs musiciens, qui jouent de la mandoline et du tambourin. Cette musique et l’espérance du pillage les transportent d’allégresse, ils ont l’âme en fête. Les uns agitent leurs bonnets au bout de leurs lances, les autres les jettent en l’air ; leurs chevaux semblent participer à la joie générale ; ils tricotent des jambes, dansent sur place, cabriolent et caracolent. L’hetman, qui marche en tête, conserve seul sa gravité, il médite son plan de campagne. La cavalcade se déroule jusqu’à l’horizon dans une vaste steppe, que recouvre un ciel gris et brumeux. Ce tableau est plein de mouvement, de vie et de belle humeur. Il est possible qu’en dessinant ses chevaux M. Brandt se soit inspiré de Fromentin ; mais ceux qui ont pris ses cosaques pour des musiciens arabes et qui lui ont reproché de voir l’Orient en gris n’y avaient pas regardé d’assez près.


V

L’Allemagne a laissé à l’Autriche le périlleux honneur d’exposer de la peinture d’histoire de dimension monumentale. Il y a en effet dans la section autrichienne deux grandes machines, qui s’imposent à l’attention de tous les visiteurs et font tort à d’autres œuvres intéressantes renfermées pour leur malheur dans la même salle. M. Matejko a voulu célébrer dans son grand tableau l’union conclue à Lublin en 1569 entre la Lithuanie et la Pologne. Dans son immense toile, qui a les proportions d’un événement, M. Makart, professeur à Vienne, a représenté l’entrée de Charles-Quint à Anvers.