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Seule au monde. Dans une grande chambre presque vide, une femme a veillé son mari qui vient de mourir ; c’est à peine si le jour va poindre, si une pâle et incertaine clarté nous permet d’apercevoir ce mort recouvert d’un linceul, cette femme qui pleure près d’une Bible entr’ouverte et posée à terre. Il y a dans cette scène presque invisible beaucoup de sentiment, de mystère et de puissance. Nous connaissons des tableaux fort agréables qu’il ne faut voir qu’une fois ; les toiles empâtées de M. Israëls gagnent à être revues.

Les marines de M. Mesdag sont aussi sombres, aussi lugubres que les tableaux de genre de M. Israëls. M. Mesdag ne voit dans l’Océan qu’une puissance hostile, brutale, monstrueuse, avec laquelle il faut se battre, et qui dévore impitoyablement les imprudens et les maladroits. Près de ces vagues écumeuses et grisâtres, sous ce ciel glacé qu’enveloppe la brume, l’homme est bien peu de chose, il fait une triste figure, et la foule accourue sur la grève pour assister au départ d’un bateau de sauvetage portant assistance à un bâtiment en péril ne forme qu’un paquet noir, où l’on cherche en vain un reflet lumineux. On ne voit pas les visages, on distingue pourtant les attitudes, qui sont vraies, parfaitement naturelles ; il n’y a là ni recherche, ni pose, ni petites manières, ni grimages, et ces vagues menaçantes ont été étudiées avec un soin consciencieux. Cette peinture sans agrément s’impose au respect ; mais que sont devenus les tons argentés, le blond et les gris délicieux de la Hollande d’autrefois ?

On remarquera dans la même salle d’autres œuvres dont l’exécution est par trop sommaire et d’une lourdeur extrême. Les artistes qui les ont faites ne sont pas des ignorans, ni des maladroits ; ce sont des endormis, on serait tenté de les secouer pour les réveiller. Aussi est-on fort surpris de découvrir au milieu de ces peintures somnolentes, torpides ou renfrognées, deux toiles qui ont tout le charme de la jeunesse et d’une audacieuse gaîté. Le peintre qui a mêlé cette note joyeuse à la gamme mélancolique et morose de l’exposition hollandaise n’a pas besoin qu’on le tire par sa manche pour le dégourdir ; il a les yeux bien ouverts, l’imagination vive, la main alerte et preste, et il croit au soleil. Il est vrai que M. Van Haanen n’habite pas la Hollande ; c’est à Venise qu’il a peint sa coquette Meneghina et ses Ouvrières en perles. Une douzaine de belles filles travaillent à leur joli métier, assises le long d’un mur et présidées par une vénérable matrone à la figure peu avenante, surveillant d’un œil impérieux les mains et les balances de la marchande qui lui vend sa provision de perles. Dans la partie de droite, deux de ces belles filles ont une prise de bec avec la plus jeune de leurs