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considérable que tous les précédens ; mais plus on produit, plus l’épuisement vient tôt. Plusieurs des régions naguère les plus riches, comme la Californie, Montana, Idaho, Jeniseï, Victoria, montrent des signes indéniables d’un rapide appauvrissement. La conclusion du livre, si rempli de faits, de M. Edouard Suess est que la production de l’or ira en diminuant, comme c’est du reste le sort de toutes les industries extractives qui épuisent le fonds qu’elles exploitent, — que par conséquent la quantité de ce métal deviendra complètement insuffisante pour faire face aux besoins croissans des arts, du luxe et du monnayage. D’après le savant géologue viennois, c’est à peine si l’or et l’argent réunis offriront un moyen d’échange suffisant. Si donc on devait écouter les partisans de l’unique étalon d’or et expulser l’argent, on arriverait aux conséquences les plus désastreuses. Ce point étant contesté, il importe d’y fixer un moment l’attention.


III

Quelle influence exerce sur l’économie sociale l’accroissement ou la diminution de la monnaie ? Cette question est de la plus grande importance, et cependant jusque dans ces derniers temps elle a été peu approfondie et discutée. Dans son livre de la Baisse probable de l’or (1859), M. Michel Chevalier montre très bien que l’augmentation de la quantité de la monnaie et par conséquent la diminution de sa valeur est favorable aux débiteurs et défavorable aux créanciers d’une somme fixe en numéraire. Mais n’a-t-elle pas pour effet de stimuler l’industrie et le commerce ? C’est un point que l’éminent économiste n’a pas examiné. Dans son essai sur la Monnaie, si plein de vues justes et fines, Hume donne la vraie solution en quelques mots : « On voit, dit-il, dans un état où le numéraire commence à circuler avec plus d’abondance qu’auparavant tout prendre une face nouvelle. Le travail et l’industrie se vivifient. Le marchand devient plus entreprenant, le manufacturier plus diligent et plus habile, et le fermier lui-même conduit la charrue avec plus de soin et d’activité. Le bonheur domestique d’un état n’est pas intéressé à ce qu’il existe plus ou moins de numéraire ; mais les magistrats doivent s’efforcer, autant que possible, de faire en sorte que la quantité s’en accroisse régulièrement, parce que de cette façon contribuent à entretenir l’esprit d’entreprise dans la nation et à augmenter la masse du travail, en quoi consistent la vraie puissance et la richesse réelle. Un pays où la quantité de monnaie diminue est alors plus faible et plus misérable qu’un autre pays qui ne possède pas plus de monnaie, mais où celle-ci augmente. » Quoique Hume eût ainsi démêlé les différens aspects du problème avec une perspicacité