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les générations futures. À présent tous les Français, les uns pour un temps trop long, les autres pour un temps trop court, doivent le service militaire. Dans un avenir prochain, on n’en saurait douter, la loi, revenant sur cette erreur, supprimera le tirage au sort, modifiera les conditions de la libération et voudra que tous les citoyens passent effectivement sous le drapeau. Alors l’armée recevra chaque année, pour les former à l’obéissance et aux respects, en même temps qu’aux armes, tous les jeunes hommes qu’elle a la mission de préparer aux devoirs et aux travaux de la défense nationale. Elle ne les gardera pas longtemps, car la perfection de leur éducation et la valeur supérieure des cadres reconstitués[1] suppléeront par la qualité de l’instruction militaire à l’insuffisance de sa durée. L’armée rendra périodiquement à la famille, aux professions libérales, aux professions ouvrières, à l’agriculture ces mêmes jeunes hommes, fils des riches et fils des pauvres, qui, juxtaposés sous le drapeau dans les rangs[2], y auront pratiqué la véritable égalité et appris la véritable fraternité. Je doute qu’il y ait un moyen plus puissant, — s’il en existe un autre, — pour sceller de nouveau le pacte social que tant de convulsions intérieures ont déchiré dans notre pays.

Les termes abrégés de cette évolution de toute la jeunesse française allant de la famille au régiment et revenant du régiment dans la famille ne laisseront aux chances de déclassement qu’une part infiniment restreinte, qui disparaîtra tout à fait quand cette jeunesse aura reçu dès l’école primaire ou le collège, comme je l’ai expressément demandé[3], les élémens d’éducation militaire dont elle trouvera au régiment la continuation et le complément.

Et qu’arrivera-t-il enfin ? Il arrivera que l’armée sera tout à la fois l’école de la défense nationale, l’école de la soumission, du bon ordre, de la virilité, de la solidarité patriotique, et, pour dire toute ma pensée et tout mon espoir, la grande école de l’esprit public ! Le personnel créateur de ce glorieux avenir se trouvera certainement dans le pays. Dès à présent, il existe partiellement dans l’armée. Il s’y multipliera quand les jeunes officiers d’aujourd’hui, qui échappent par leur âge et par les enseignemens de l’histoire militaire contemporaine à la tyrannie des traditions et de la légende, seront devenus dirigeans.


  1. Voyez l’étude sur la Question des sous-officiers (Revue du 1er  janvier 1878.)
  2. J’exposerai, dans une étude spéciale sur le recrutement considéré comme une institution militaire de premier ordre, les termes de la loi qui réaliserait ces vues en conservant, avec quelques modifications nécessaires, le volontariat d’un an dans l’intérêt des professions libérales.
  3. Voyez l’étude sur les Institutions militaires, dans la Revue du 1er  février 1878.