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individuelles n’auront plus qu’à revêtir comme d’elles-mêmes ce muet et éloquent langage qui s’est à l’avance élaboré pour lui dans l’incalculable série de ses ancêtres.

On remarquera que par le premier au moins des trois principes qu’il énonce, M. Darwin abrège déjà singulièrement la distance qui sépare les animaux de l’homme. Rapporter en effet à des habitudes utiles un grand nombre des mouvemens expressifs des animaux, n’est-ce pas attribuer à ceux-ci une intelligence qui leur permette d’inventer en quelque sorte des actions auxquelles l’instinct ne les détermine pas fatalement? Cette utilité dont on les fait appréciateurs et juges, comment la connaîtraient-ils, sinon par la réflexion, la comparaison, c’est-à-dire par quelques-unes des opérations les plus élevées de l’esprit? Et, chose étrange, qui semble en contradiction avec la donnée fondamentale de l’évolutionnisme, ce sont les ancêtres les plus reculés qui, dans une série quelconque de générations animales, auront dû posséder le plus d’intelligence ! A eux la tâche de former les habitudes utiles, de choisir par conséquent entre plusieurs mouvemens possibles les plus favorables à la conservation et au développement de la vie. Quant à leurs descendans, ils n’ont eu qu’à recueillir les fruits héréditaires de ces merveilleuses découvertes. Nul effort ne leur est plus nécessaire; la mécanique cérébrale, au fonctionnement désormais infaillible, les dispense d’être ingénieux. En un mot, selon la théorie darwinienne, l’instinct commence par l’intelligence et le libre choix, pour aboutir à l’habitude et à l’action réflexe : la marche de la nature vivante est ainsi régressive au lieu d’être progressive, et, comme les instincts remarquables se trouvent chez des animaux qui n’occupent pas un rang très élevé dans l’échelle des êtres, que d’autre part l’effort intellectuel qui a donné naissance à un instinct doit être en proportion du degré d’industrie que celui-ci révèle, la conséquence qui paraît s’imposer, c’est que les plus intelligens des animaux sont non pas les mammifères supérieurs, non pas même certains oiseaux ou certains insectes dont les actes sont maintenant déterminés par des habitudes transmises à travers une longue suite d’organismes, mais les ascendans les plus antiques de ces insectes ou de ces oiseaux, les premiers pères au génie desquels l’espèce tout entière est redevable de ses instincts.

Il semble que cette objection porte contre la doctrine darwinienne de la formation de l’instinct et non contre la théorie relative à l’origine des mouvemens expressifs. Mais on s’aperçoit sans peine que le premier des principes posés plus haut n’est qu’un cas particulier de l’hypothèse qui prétend expliquer les mouvemens instinctifs par des habitudes d’abord volontairement acquises : montrer