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et la pensée de Rubens, ou dans les modèles dont il s’est servi? Si je veux écrire, il me faut bien du papier, de l’encre et une plume; si je veux peindre, il me faut forcément avoir recours aux formes que j’ai sous la main. » Cette boutade définit à merveille le caractère des emprunts que Gleyre faisait à la nature. Il lui demandait des modèles et des formes qu’il corrigeait et purifiait pour les mettre en harmonie avec ses conceptions. Il y a toujours nécessairement un certain degré de naturalisme dans toute peinture, puisque l’art de peindre ne peut demander qu’à la seule réalité ses élémens et ses moyens d’expression, et par conséquent il est souvent fort difficile en face de certaines œuvres de dire avec certitude si la part qui revient à la nature est plus forte que la part qui revient à l’inspiration du peintre. L’essentiel, pour décider la question, c’est que l’ensemble de l’œuvre donne une impression générale d’idéal; or, cette impression, les toiles de Gleyre la donnaient toujours.

Diane, la Nymphe Écho, la Vierge et les deux Enfans, Vénus Pandemos, Phryné, le Coucher de Sapho, les Baigneuses, Minerve et les Grâces, Hercule et Omphale, Daphnis et Chloé, Adam et Eve, le Bain, la Charmeuse, l’Innocence ; tous ces titres de toiles de Gleyre disent assez qu’elles ont pour seul objet la reproduction de la beauté. Ce sont tous sujets traditionnellement employés, ne comportant qu’un nombre très restreint de personnages, sans élémens dramatiques, des sujets pour ainsi dire reposés, rigoureusement circonscrits dans la grâce, par conséquent choisis à merveille pour concentrer l’attention du spectateur sur les expressions de beauté d’où elles tirent leur adorable, mais unique intérêt. Rien là qui puisse distraire la pensée, ni partager la curiosité de l’œil; facilitée par cette contrainte, la contemplation peut se prolonger avec la liberté d’une rêverie qui est assurée contre toute interruption. C’est pour cela que ces thèmes calmes furent préférés des maîtres de la renaissance tant que la beauté pure fut leur principal souci, car les scènes à nombreux personnages et à grand fracas dramatique ne vinrent au monde que lorsque les artistes eurent, comme les Vénitiens, la préoccupation de la magnificence à l’égal de la préoccupation de la beauté, ou placèrent, comme les peintres de Bologne, l’expression avant toute autre chose. Gleyre connaissait trop intimement sa renaissance pour n’avoir pas remarqué de quelle importance est le choix du sujet pour le but qu’il poursuivait avant tout autre; aussi ne chercha-t-il jamais que par exception les thèmes dramatiques et compliqués; seulement, en vrai fils de son siècle qu’il était, il remplaça les thèmes chrétiens des artistes de Florence et de Rome par des thèmes empruntés aux légendes et aux fables de l’antiquité païenne, lesquels d’ailleurs, il en faut convenir, se prêtaient mieux