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subir. En définitive, par suite de ces transactions, il n’y a pour ainsi dire plus personne qui paie l’impôt; tout le monde l’a déduit de son prix d’acquisition, c’est absolument comme si l’état était devenu propriétaire du sol jusqu’à concurrence du produit de la taxe. Pourquoi changer cela, et venir troubler des situations acquises? Personne ne réclame sérieusement : ne quieta moveas, dit le proverbe; c’est le cas de l’appliquer ici. Voilà une des premières objections qu’on met en avant pour ne pas modifier l’assiette de l’impôt foncier. On pourrait tout au plus, continue-t-on, admettre à réclamer ceux qui prouveraient qu’ils paient aujourd’hui plus du sixième de leur revenu, ce qui avait été la base adoptée par l’assemblée constituante. Or, il y en a très peu dans ce cas.

Cette objection, toute grave qu’elle est, ne peut pas empêcher la révision de la taxe foncière. Toutes nos constitutions, et celle de 1791 en particulier, ont déclaré que chaque citoyen doit contribuer aux dépenses de l’état en raison de ses facultés. Cela signifie-t-il que les facultés seront déterminées une fois pour toutes, d’après des évaluations faites à une certaine époque? Évidemment, non. Cela signifie qu’autant qu’on pourra connaître ces facultés à toutes les époques, on y proportionnera l’impôt. On ne l’a pas fait jusqu’à ce jour, à cause des difficultés d’exécution, de l’incertitude où l’on est de pouvoir arriver à des évaluations nouvelles bien exactes ; mais parce qu’on ne s’est point servi du droit, il ne s’ensuit pas qu’il soit périmé. Cela serait contraire à toute justice. L’impôt, nous l’avons dit, doit suivre le progrès de la richesse; c’est là ce qui en fait la légitimité et justifie la plus-value que l’état obtient. Les revenus de la terre seraient donc seuls soustraits à cette règle; cela serait d’autant plus injuste que l’augmentation des produits du sol, de même que celle des autres sources de la richesse, n’est pas due exclusivement aux efforts de ceux qui en profitent, elle est le résultat aussi du progrès général, de l’établissement des routes et des chemins de fer, de la création des canaux, de l’amélioration des ports, de l’extension qui a été donnée aux débouchés commerciaux, toutes choses pour lesquelles l’état a beaucoup fait, et il serait fort extraordinaire qu’il fût le seul à ne pas profiter de la plus-value qui en résulte. Ceux qui ont acheté des immeubles ont dû réfléchir à cela, ils n’ont pas pu croire que l’impôt foncier resterait immuable. Que dirait-on alors à ceux qui sont soumis à un droit de patente pour l’exercice de leur profession et qui ont vu ce droit tripler depuis un certain nombre d’années? pourquoi l’a-t-on triplé, si ce n’est parce que les profits industriels s’étant considérablement accrus, on a pensé qu’il y avait lieu d’y proportionner la