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pas être possible. Et cependant, on ne peut s’y méprendre, si l’œuvre n’est pas révolutionnaire par elle-même comme le congrès socialiste, elle l’est dans un autre sens par le caractère qu’on lui imprime, par les commentaires dont on l’accompagne, par toutes ces vaines et imprudentes déclamations que le mysticisme exalté d’un orateur comme M. le comte Albert de Mun mêle à des démonstrations pieuses.

M. de Mun est décidément un chef de croisade, le paladin de l’église ; il prêche à la chambre des députés, il prêche sur la terrasse de l’évêché de Chartres. C’est lui qui organise, qui dirige les « cercles catholiques d’ouvriers, » et qui dans les grandes occasions est chargé du sermon d’ouverture. Le jeune et brillant officier de cavalerie devenu apôtre s’est fait un catholicisme tapageur, militant et exclusif, que n’avoueraient plus sans doute Lacordaire et Montalembert avec leurs généreuses ardeurs libérales, mais qui est fort à la mode depuis quelques années. M. le comte de Mun, c’est une justice à lui rendre, ne cache pas son drapeau ; il tient à ce qu’on sache bien que le catholicisme dont il se fait l’impétueux leader est incompatible avec le monde nouveau, qu’il a déclaré la guerre à la société moderne, aux lois civiles, au concordat, à l’organisation économique, à tout ce qu’a produit et réalisé la révolution française. Il veut qu’on n’ignore pas qu’il est la « contre-révolution. » Qu’est-ce qu’il entend par ce mot de contre-révolution ? À la vérité ici tout devient passablement obscur. Il y a dans les discours du bouillant orateur de Chartres quelque chose comme une reconstitution éventuelle des corporations ouvrières, quelque chose comme un retour à des temps où l’église régnait dans la vie civile comme dans la vie religieuse, quelque chose comme un regret de tout ce qui n’est plus. Ce qu’il y a de plus étrange encore, c’est que, parlant à des ouvriers qu’il croit gagner à sa cause, M. de Mun mêle à son prosélytisme religieux on ne sait quel souffle de socialisme. Oui, vraiment, il manie tout comme un autre cette phraséologie banale et toujours redoutable sur la servitude des travailleurs, sur la tyrannie du capital, sur l’oppression des déshérités, sur l’égoïsme des satisfaits. M. le comte de Mun sait bien qu’il s’expose à cette grave accusation puisqu’il croit devoir s’en défendre, et s’il sent ce qu’il y a de dangereux dans de telles déclamations, pourquoi fait-il œuvre de parti en se plaisant à envenimer des souffrances qui sont dignes de toutes les sollicitudes, mais qui ne se guérissent pas par des discours ? Pourquoi se plaît-il à remuer avec un esprit trop peu préparé, trop visiblement inexpérimenté, des problèmes qui ne peuvent se résoudre qu’avec le temps, avec de la patience, avec beaucoup d’études, avec toute la bonne volonté d’une société attentive, humaine et libéralement équitable ? Ah ! sans doute, M. de Mun a son excuse, il a son remède tout trouvé, la foi, le retour au catholicisme tel qu’il le comprend et à l’état modèle, par