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Par ordre du roi, la correspondance secrète le suivit au camp. Quand survint la querelle (fameuse en son temps) entre le maréchal de Broglie et le prince de Soubise au sujet de la bataille de Fillingshausen qu’ils avaient livrée et de la déroute qu’ils avaient subie en commun, le maréchal fut exilé et le comte partagea son sort. La correspondance secrète le suivit en exil, et le roi se passa plusieurs années l’incroyable fantaisie d’honorer tout bas de sa confidence intime celui qu’en public il frappait de sa disgrâce.

Ces relations n’étaient pas complètement ignorées des ministres, en particulier du duc de Choiseul, premier ministre, et de son cousin le duc de Praslin, ministre des affaires étrangères, qui, sachant le fait, sans en connaître bien le fond, en concevaient naturellement beaucoup d’ombrage. Ce n’eût été pourtant après tout qu’une mauvaise plaisanterie assez inoffensive, si le comte de Broglie, qui était doué d’un esprit élevé, mais un peu chimérique, et possédé d’un grand désir de s’illustrer, n’eût essayé à plusieurs reprises de profiter de ses rapports confidentiels pour engager le roi, à l’insu de son ministère, dans de généreuses, mais périlleuses entreprises. Ces tentatives, commencées sans moyens d’action suffisans et n’étant pas suivies comme elles auraient dû l’être pour présenter la moindre chance de succès, risquèrent plus d’une fois de compliquer et d’accroître, au lieu de les réparer, les malheurs de ce triste règne. Dans ce nombre et au premier rang figure le projet d’une descente armée en Angleterre, qui fut proposé par le comte de Broglie et agréé par le roi, mais dont le secret, remis à un confident très mal choisi, faillit donner lieu à d’incalculables désastres. Heureusement on en fut quitte pour un grand scandale. Le fait, qui fit du bruit dans le temps, n’ayant jamais été complètement éclairci, le lecteur en apprendra peut-être avec intérêt l’explication complète et les curieux détails.

Tout le monde sait dans quelle situation la paix de 1763, qui termina la guerre de sept ans entre la France et l’Angleterre, laissait les deux grandes puissances qui l’avaient conclue. La France, profondément humiliée, avait cédé toutes ses grandes colonies et perdu tout le prestige de sa puissance maritime. Mais ces sacrifices, si douloureux pour nous, ne suffisaient pas pour satisfaire l’orgueil singulièrement exalté du peuple anglais. Les Anglais reprochaient amèrement à George III et à son ministre, lord Bute, de n’avoir pas tiré tout le parti qu’une politique plus énergique aurait pu obtenir des victoires remportées par le pavillon britannique. On pouvait donc croire assez raisonnablement au renouvellement prochain de la lutte entre deux nations qui continuaient à se haïr et qui demeuraient aussi peu satisfaites l’une que l’autre des conditions de leur accord. Le plan d’une descente armée sur le sol britannique a été sérieusement agité à plusieurs reprises dans les conseils des divers gouvernemens