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La maison du banquier L. Cœcilius Jucundus a plus d’importance et nous arrêtera plus longtemps. Ce n’est pas qu’au premier abord elle se distingue beaucoup des autres; elle est au contraire construite sur une rue assez étroite et elle a des apparences modestes. Jucundus ne tenait pas aux dehors, et peut-être même, en homme prudent, était-il bien aise de ne pas trop afficher sa fortune; mais quand on pénètre dans la maison, on s’aperçoit bien qu’on est chez un homme riche. La salle de réception est ornée de tableaux mythologiques, et une grande chasse est peinte sur le péristyle. Cette peinture n’est pourtant pas ce que le péristyle contenait de plus curieux : en fouillant au-dessus d’une embrasure de porte, dans un endroit assez bien caché, on a retrouvé les livres de compte du banquier pompéien.

C’était une grande nouveauté; les livres paraissent avoir été fort rares à Pompéi. Tandis qu’à Herculanum, dont on ne connaît guère que quelques maisons, on a presque du premier coup découvert une bibliothèque, depuis plus d’un siècle qu’on fouille Pompéi on n’y avait encore trouvé ni tablettes de cire, ni rouleaux de papyrus, ni livres de parchemin, ni bibliothèque, ni archive d’aucune sorte. C’est ce qu’il n’est pas aisé d’expliquer. Sans doute Pompéi n’était pas un lieu d’études, et les savans n’y devaient pas être nombreux; mais, même dans les villes de plaisir, certains livres sont à leur place. Je suppose que, si quelqu’une de nos belles résidences de bains de mer et de nos stations thermales, où l’on ne va pas pour s’ennuyer, était engloutie par un cataclysme subit, on n’y trouverait pas en la rendant au jour beaucoup d’ouvrages de science, mais une assez belle collection de romans ou de journaux. En supposant qu’il n’y eût pas à Pompéi de livres de philosophie, comme à Herculanum, on devait y lire au moins les poètes qui ont chanté l’amour, puisque leurs vers sont partout crayonnés sur les murailles, et il semble qu’on aurait dû y retrouver depuis longtemps quelques exemplaires des élégies de Properce ou de l’Art d’aimer d’Ovide; mais tout s’est perdu. Le seul indice qui puisse faire croire que les Pompéiens achetaient quelquefois des livres, et que par conséquent ils en avaient chez eux, c’est l’enseigne d’une boutique de libraires, près de la porte de Stables, qui paraît avoir été gérée par quatre associés. Malheureusement, si la boutique est restée, les livres ont disparu. Aussi est-il aisé de comprendre la joie qu’on éprouva quand on s’aperçut, le 3 juillet 1875, qu’on venait